Une belle fin

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Modeste fonctionnaire dans une banlieue de Londres, John May se passionne pour son travail. Quand une personne décède sans famille connue, c'est à lui de retrouver des proches. Malgré sa bonne volonté, il est toujours seul aux funérailles, à rédiger méticuleusement les éloges des disparus… Jusqu'au jour où atterrit sur son bureau un dossier qui va bouleverser sa vie : celui de Billy Stoke, son propre voisin.

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Petits arrangements avec les morts

John May est un drôle de bonhomme effacé, dont le regard de cocker attendri laisse deviner des trésors d'humanité, des richesses insondées. Les premières scènes sont cocasses : voilà notre homme, dégaine à la Droopy, apparaissant aux quatre coins de maintes funérailles, s'adaptant avec la même solennité tenace aux rituels de confessions parfois diamétralement opposées. Du kilt au costard cravate, du rockabilly à la musique classique, les façons de dire adieu sont aussi multiples que le furent les défunts. La seule chose qui semble immuable, incontournable au milieu de tout ça, c'est la présence de John May ! Cela dit, s'il n'était désespérément seul dans ces lieux de cultes, on pourrait l'oublier, tant certains êtres deviennent transparents à force de sembler ternes, gris. D'un gris cendré sans grande nuance, presque une non-couleur en somme pour teinter cette vie qui n'en est presque pas une, avec un boulot qui n'en est presque pas un : s'occuper des macchabées dont personne ne réclame le corps, oubliés morts comme ils le furent vivants. C'est là que notre preux fonctionnaire anglo-saxon entre en lice, sondant les maisons, les univers intimes des disparus afin de retrouver trace d'un semblant d'entourage. C'est pas gagné ! Le peu de fois où il parvient à prendre contact avec un ex, une progéniture, d'anciens amis… ceux-ci lui raccrochent au nez ! C'est qu'il exhume, malgré lui, des margouillis de souvenirs douloureux, de secrets nauséabonds, de rancœurs vivaces, de fractures si grandes dans les cœurs que même la mort ne peut les combler. Il y aurait de quoi décourager n'importe quel mortel, sauf John May qui, tout comme la camarde, n'oublie aucun de ses « usagers ». Il s'applique, s'implique, les accompagne dignement jusqu'à leur dernière demeure ! Le voilà qui compose des odes funéraires personnalisées, comble les lacunes du passé des trépassés, camoufle leurs imperfections, leur donne des couleurs à la manière d'un talentueux restaurateur de tableaux, brodant à partir des vestiges de ces vies consumées. C'est tour à tour touchant, joli, drôle…

Sensible, inventif, espiègle, notre homme parle au nom des sans voix, des disparus, des amours perdues, des fantômes… ou du chat – quand il ne reste que lui. Dans le fond, ces inconnus devenus familiers, ces solitaires délaissés viennent peupler sa propre solitude lorsque, le soir venu, il regagne son bercail spartiate où tout semble figé comme dans une nature morte (en anglais « still life » : le titre original du film). Les jours du célibataire pas du tout endurci se suivent et se ressemblent, ponctués de repas en tête-à-tête avec du thon en boite, de rituels méticuleux aussi réguliers que le triste chant d'un coucou garanti sans surprise jusqu'à la fin des temps. Économe en mots, en gestes, John donne l'impression de traverser l'existence sans soulever le moindre grain de poussière, flottant dans un univers qui ne peut aller qu'en se rétrécissant : bureau, dodo, caveau… Cela durerait jusqu'à ce que John May soit à son tour dissous dans le temps qui passe.

Puis un jour tout part en capilotade ! Le voici licencié sans ménagement par le service public auquel il s'est dévoué mais qui se plie désormais aux lois d'un marché de plus en plus dérégulé, pour lequel John fait figure de dinosaure périmé et improductif. Celui qui jamais ne bronche ose pourtant une dernière volonté : aller jusqu'au bout du dernier dossier en cours, pour la beauté du geste, l'honneur du devoir accompli… Une affaire qui précisément le trouble : le mort n'est autre que son voisin d'en face… C'est là que la mécanique bien huilée va insensiblement dérailler et John se libérer, s'épanouir.

On se prend à l'admirer, lui et son incroyable bienveillance. Il fait partie de ces héros trop discrets qui ne revendiquent rien pour eux, ne réclament aucune reconnaissance, refusent de traiter leurs concitoyens comme des marchandises. On aurait presque envie de crier : vive l'improductivité, les espaces de vie non marchands, le service public ! Le gris est parfois plus lumineux que les couleurs criardes des étalages de nos sociétés de consommation.

Vous dire combien ce film est un ravissement qui ne s'oublie pas ! Subtil, il procède par touches infiniment délicates, suggestives. Sous ses airs modestes, il dépeint en filigrane ce qui fait l'humanité, la fin d'un monde, l'avènement d'un autre. Et l'acteur Eddie Marsan est génial !