Histoire de Judas

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Après une longue ascèse, Jésus rejoint les membres de sa communauté, soutenu par son disciple et intendant, Judas. Son enseignement sidère les foules et attire l'attention des résistants, des grands prêtres et de l'autorité romaine. Quand il chasse les marchands du Temple, Judas se révèle être le gardien des paroles du maître...

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Il se dégage de la beauté des images, de l'épure de la mise en scène et de la vérité des personnages une telle force, une telle puissance d'évocation poétique qu'on se sait immédiatement et durablement marqué par cette Histoire de Judas. Après nous avoir conté dans son style âpre et enivrant la naissance de la légende de Mandrin, Rabah Ameur-Zaïmeche s'approprie un nouveau morceau de notre Histoire collective. Encore une histoire de bande, encore une histoire de transmission, encore une histoire de prosélytisme amoureux, encore une histoire de ferment révolutionnaire emprunt de mysticisme – et surtout encore une histoire pleine de blancs à remplir.

L'histoire, dans ses grandes lignes, on la connait. Qu'on soit profondément croyant ou athée convaincu, qu'on ait eu une enfance bercée par les belles histoires du catéchisme ou qu'on ait simplement recollé les morceaux au hasard de l'histoire antique et des jours fériés du calendrier, difficile sous nos latitudes de tout à fait ignorer les grandes étapes de la vie et de la « Passion » de Jésus de Nazareth. Mythe fondateur du christianisme, légende épique ou histoire véridique, les textes qui nous rapportent sa vie et son œuvre ont été, au fil des siècles, triés, étudiés, épluchés, remodelés, lus et relus, passés et repassés au tamis de la connaissance des plus pointilleux connaisseurs de ces choses – docteurs en religions, historiens, exégètes de tous poils. Le peu dont on soit à peu près certain (comme dit Gérard Mordillat), c'est de l'aventure de cette joyeuse brochette d'amis, honnêtes pharisiens de Galilée, qui suivent avec bonheur et enthousiasme un rabbin particulièrement charismatique. Lequel rabbin, accusé de troubler l'ordre public et de contester l'autorité de Rome, sera arrêté, condamné et exécuté. Fin.

Rabah Ameur-Zaïmeche nous invite donc à rejoindre ce groupe d'amis indéfectibles, qui vont de ville en ville, accompagnant l'enseignement de leur guide, au besoin l'explicitant de leur mieux, tant il est vrai que celui-ci est parfois un brin obscur dans ces paroles – n'ayant jamais l'air de vouloir dire ce qu'il dit, répondant volontiers sans répondre et généralement par d'autres questions aux questions qui lui sont posées, quand ce n'est pas par des métaphores alambiquées. Bref, un drôle de gars, mais magnifique et exaltant. Et, dans la bande, il y en a un, plus dévoué, plus proche qu'un ami, un frère. Celui qui, lorsque le rabbin s'est retiré quarante jours dans le désert pour jeûner et méditer, l'a pris sur son dos et l'a ramené chez les vivants. Lui qui prépare avec des conjurés son arrivée prochaine à Jérusalem en libérateur de la domination romaine. Lui aussi qui, plus enflammé qu'un autre, se pose en gardien de la parole de son ami et, détenteur d'une incernable vérité, se dévoue corps et âme à le faire connaître et à le protéger. Ce « ver de terre amoureux d'une étoile » s'appelle Judas.

Le parti-pris, gonflé, de Rabah Ameur-Zaïmeche, c'est de considérer que l'Histoire, celle qui nous est parvenue, authentifiée par quatre textes à la valeur documentaire toute relative, a d'abord été écrite par des vainqueurs. Et que Judas, définitivement, est dans le camp des vaincus. Dans les blancs, il re-raconte à hauteur d'hommes et de femmes un autre cycle de passions, qui mêle celle du Christ et celles, beaucoup plus évidentes, humaines, belles ou noires, douces ou violentes, qui animent ceux qui le suivent. Refusant le parti-pris simpliste de la traitrise de Judas, il prend de grandes et belles libertés avec le Nouveau Testament et entreprend de raconter comment le mieux-aimé des apôtres, le plus pur, deviendra celui à qui l'on a volé son ami, à qui l'on a volé sa raison de vivre, que l'on a privé de son impossible deuil – deviendra Judas, l'apôtre honni. Et dans le même geste, réhabilitant Judas, c'est tout l'anti-judaïsme posé comme préalable à la naissance du christianisme qu'il remet en question. Sans effet de manche grandiloquent, refusant l'imagerie sulpicienne comme la reconstitution historique pompeuse, rendant au désert son aridité première, le projet de cette Histoire de Judas, recréée par des Musulmans pour réhabiliter le peuple Juif non pas contre mais aux côtés des premiers chrétiens, tend à une universalité et un humanisme qui, je vous le promets, remettent un paquet de cœur au ventre par les temps qui courent.