Sergueï M. Eisenstein

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  • Date de naissance : 23 janvier 1898
  • Décédé(e) le : 11 février 1948
  • Sergueï Mikaïlovitch Eisenstein naît à Riga (Lettonie) le 23 janvier 1898. Son père Mikhaïl, ingénieur-civil juif d'origine allemande, s'occupe des constructions maritimes du port de la ville. L'enfant grandit entre sa mère Julia, d'ascendance purement slave, qui lui donne une éducation corsetée par la morale traditionnelle, et une nurse qui fait planer autour d'elle le parfum des icônes et des mystérieuses superstitions - et qui deviendra plus tard sa femme de ménage.
    Les relations entre ses parents sont tendues et sa mère les abandonne en 1909 pour s'installer à Saint-Pétersbourg, la capitale de la Russie impériale. Le divorce sera officialisé en 1912. Sergueï, qui voyage souvent à Saint-Pétersbourg pour visiter sa mère, est fasciné par l'architecture et le baroque de la ville en même temps que par son cosmopolitisme : chez les Eisenstein, on parle couramment allemand, anglais et français. Sergueï y découvre aussi le monde du cirque et des clowns, qui devient un de ses thèmes de prédilection.
    En 1915, il entre à l'institut des ingénieurs civils pour suivre la carrière paternelle, mais passionné de dessin et d'art plastique, il s'inscrit en même temps aux cours d'architecture de l'Ecole des Beaux-Arts. Attiré par le théâtre et la Renaissance italienne, il s'identifie à Léonard de Vinci, ce touche à tout de génie, et découvre Freud dont il souhaiterait suivre les cours à Vienne une fois la guerre terminée. Mais la Révolution de 1917 coupe court à ses projets. La guerre civile qui déchire la Russie sépare aussi les familles : alors que son père s'engage dans l'armée blanche tsariste, Sergueï rejoint les rangs de l'armée rouge. Ses talents d'architecte lui permettent de contribuer à la construction de places fortes, puis il devient décorateur de trains de troupes en créant affiches et tracts révolutionnaires. En 1920, envoyé à Minsk comme dessinateur de propagande, il s'initie aux langues idéographiques et au théâtre japonais. Une fois la paix revenue, Eisenstein est démobilisé et peut reprendre ses études aux frais du gouvernement.
    Il part pour Moscou étudier le japonais et le théâtre, et y retrouve un ami d'enfance, Maxime Strauch, qui joue au « Théâtre du Peuple » (Proletkult) et le fait embaucher comme assistant-décorateur. S'adaptant aux règles du théâtre russe révolutionnaire – à la fois collectif et idéologique, mais aussi satirique et excentrique, Eisenstein devient rapidement co-metteur en scène. En 1923, après avoir travaillé dans plusieurs théâtres, il se voit attribuer une troupe et une scène propre, le « Pérétrou » (Théâtre ambulant du Proletkult). Farcis d'attractions et de gags oscillant entre cirque et commedia dell'arte, ses spectacles restent constitués de fragments autonomes qui soulignent la discontinuité de l'intrigue et organisent un « montage des surprises » conforme à des principes stricts : pas de sentiments sur scène, pas de véracité psychologique ou historique, rien qu'une accumulation, dans le public, de réactions découlant de la sympathie ou de la haine de classe.
    Ayant déjà eu un contact avec le cinéma en réalisant un court-métrage (Le journal de Gloumov) intégré à l'une de ses pièces, Eisenstein est engagé en mars 1924 par le 1er studio de cinéma d'Etat Goskino pour travailler à la version russe du Docteur Mabuse de Fritz Lang. Il étudie aussi méticuleusement le film de Griffith, Intolérance. En juillet, il obtient du Proletkult la mise en chantier du cycle « Vers la dictature du Prolétariat », qui doit être composé de sept films consacrés aux luttes sociopolitiques d'avant 1917. Il ne tournera que La grève, cinquième titre de la série, puis rompt avec le Proletkult où on le juge trop formaliste. C'est alors que le Comité pour la Commémoration de la Révolution de 1905 lui confie le tournage du film jubilaire : ce sera Le cuirassé Potemkine (1925), qui le rend célèbre du jour au lendemain.
    Eisenstein commence alors à travailler à La ligne générale, film sur la collectivisation des campagnes et la mécanisation de l'agriculture, mais il doit s'interrompre début 1927 pour réaliser Octobre, qui célèbre le dixième anniversaire de la Révolution. Après avoir achevé La ligne générale en 1929, il doit en remanier la fin après une entrevue avec Staline et rebaptise le film L'ancien et le nouveau. Avec ces dernières ½uvres, Eisenstein expérimente ce qu'il nomme le « montage dialectique », un cinéma capable de conduire au concept par les voies de l'émotion, du sentiment et de la poésie, dans le but de mobiliser une « pensée sensorielle ». Dès 1927, il se prépare même à porter à l'écran Le Capital de Karl Marx, « un film qui enseignera à l'ouvrier à penser dialectiquement ».
    Mais grâce à l'impact qu'a eu Potemkine dans les milieux du cinéma, la Paramount invite en 1930 Eisenstein et ses collaborateurs à venir travailler à Hollywood. Dès son arrivée, il se met au travail mais aucun de ses scénarios n'est accepté et son contrat est résilié en octobre. Suite à un accord avec le millionnaire Upton Sinclair, Eisenstein part au Mexique pour réaliser Que viva Mexico ! Mais de nombreuses dissensions au sein de la production font que le négatif échappe au contrôle du cinéaste et se retrouvera ensuite utilisé comme stock-shot (notamment dans Viva Villa).
    C'est un Eisenstein vaincu qui rentre à Moscou, dont l'échec se fera sentir plusieurs années. Il se consacre alors à l'écriture et à l'enseignement à l'Institut du cinéma de Moscou. En 1935, il entreprend enfin un nouveau film, Le pré de Béjine mais terrassé par la variole, il doit en interrompre le tournage, avec à peine 60% des scènes mises en boîte. Insatisfaite du résultat existant, la Direction du Cinéma l'empêche de continuer le film tel quel. Eisenstein récrit des scènes et reprend le tournage, mais celui-ci est encore interrompu. Le film ne sera jamais exploité, Eisenstein subissant de plein fouet la réaction antiformaliste dirigée contre de nombreux artistes et écrivains – dont certains se retrouvent devant un peloton d'exécution. Ayant fait acte de contrition (et soutenu en coulisses par Staline), Eisenstein pourra néanmoins se remettre à travailler. En 1938, on lui confie la réalisation d'Alexandre Nevski, exaltation d'une grande figure de l'histoire russo-soviétique mais aussi mobilisation patriotique des esprits face au danger nazi. Le film se veut « héroïque en esprit, militant par le contenu et populaire par le style ». Eisenstein, en les déguisant, poursuit ses recherches sur le montage, le drame-discours, le film de masse, et peut même réaliser son idée de « montage vertical ». L'énorme succès d'Alexandre Nevski, couvert d'honneurs et de récompenses officielles, rend au cinéaste sa place dans le cinéma soviétique, la première.
    En 1940, il commence le scénario d'Ivan le Terrible, qu'il tournera en 1943 et 1944. La première époque (Ivan Grozny) développe une véritable mystique de la monarchie, mais dans la seconde (Le complot des boyards), un tsar torturé, machiavélique, dévoré par la « logique » du pouvoir et de la raison d'état, finit par rôder aux confins de la folie. Si Staline pouvait se reconnaître dans le portrait flatteur de la première époque, la seconde dénonçait en fait son autocratisme.
    Eisenstein est terrassé par un premier infarctus le 2 février 1946 quand il apprend que Staline visionne Le complot des boyards. Le film est sévèrement critiqué et verra sa sortie constamment repoussée. Eisenstein prépare néanmoins la troisième partie qui sera tournée entièrement en couleurs. Mais dans la nuit du 10 au 11 février 1948, il succombe à une dernière crise cardiaque, laissant Ivan le Terrible inachevé.
    D'une vie consacrée entièrement à l'art et au cinéma, ponctuée par huit films, six volumes d'½uvres choisies, et des milliers de dessins et de pages de cours dactylographiés, on retient souvent l'image de génie du cinéma véhiculée – à juste titre – par la critique du monde entier. Maxime Strauch, son fidèle ami d'enfance, laisse entrevoir un portrait autrement plus poignant : « Ce fut un grand homme et sa vision allait loin ; mais sa vie fut tragique depuis les jours où je le connu. Il cherchait son chemin vers le foyer qu'il ne trouva jamais. »