Grave -12

Dans la famille de Justine tout le monde est vétérinaire et végétarien. À 16 ans, elle est une adolescente surdouée sur le point d’intégrer l’école véto où sa sœur aînée est également élève. Mais, à peine installés, le bizutage commence pour les premières années. On force Justine à manger de la viande crue. C’est la première fois de sa vie. Les conséquences ne se font pas attendre. Justine découvre sa vraie nature.

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SEMAINE DE LA CRITIQUE 2016

Les métamorphoses

Avant de réaliser Grave, Julia Ducournau avait mis en scène le court métrage Junior ainsi que Mange, un téléfilm pour Canal+. “À chaque fois, je traite d’une métamorphose physique. Mange était très punk avec beaucoup de sexe et de drogues. Il a été interdit aux moins de 16 ans sur Canal+”. C’est le producteur Jean des Forêts qui va solliciter Julia Ducournau pour faire le remake d’un film qu’elle va décliner. “Elle n’a pas eu envie de se l’approprier mais a trouvé une idée et une problématique sur lesquelles elle a eu envie de travailler. Quelques semaines plus tard, elle m’a proposé une histoire que nous avons patiemment développée pendant quatre ans”. Grave est budgété à 3,5 M€, un montant incompressible mais peu usuel pour un premier film sans casting. Car Julia Ducournau a tenu à travailler de nouveau avec Garance Marillier qui incarnait déjà l’héroïne de Junior. “Nous avons bouclé le tour de table en neuf mois. La synchronisation avec nos partenaires belges a été parfaite et ils ont, eux aussi, réuni tout ce qu’on pouvait espérer et plus, si j’ose dire.  L’Avance sur recettes a été le fonds le plus difficile à obtenir mais j’ai lu récemment que seul 7% des films déposés finissaient par l’obtenir, il n’y a donc rien de surprenant à ce qu’il faille se présenter plusieurs fois pour être soutenu.” À l’arrivée, Julia Ducournau revendique “le caractère protéiforme de son film. Je n’aimerais pas qu’il se retrouve dans une case. De la même façon que, dans la vie, je ne crois ni au genre masculin ou féminin, encore moins à une délimitation claire de la sexualité”. 

Grave, formidable thriller horrifique signé d'une jeune réalisatrice quasi inconnue, ne manque pas de moments propices au sursaut d'épouvante et au détournement de regard… Un film hybride remarquablement maîtrisé, qui mêle chronique adolescente très bien vue et suspense haletant digne des maîtres Hitchcock ou Cronenberg. 
Pour Justine, jeune fille discrète de bonne famille, tout commence au moment de son entrée à l'école vétérinaire. Pas de stress a priori pour cette étudiante brillante qui arrive en terrain presque conquis puisque tout le monde dans la famille est vétérinaire et… végétarien ! Et sa grande sœur Alexia est déjà sur place, dans la classe supérieure. Il n'empêche que la succession des dissections, la vision répétée de grosses bêtes découpées ne sont pas forcément en adéquation avec l'aspiration à l'amour des animaux… Sans compter que Justine doit en passer par le rituel du bizutage. Scène géniale où les étudiants en blouse blanche ensanglantée (peu de temps avant, tout le groupe a été aspergé de sang depuis les étages en guise de bienvenue) attendent, tel un troupeau devant les grilles de l'abattoir, de monter sur une scène où ils devront déguster en guise d'épreuve des foies ou reins crus de lapin. Pour une végétarienne, la double punition ! À laquelle elle se soumet… Mais à partir de cette terrible épreuve, sa vie va changer, la consommation de chair semblant avoir considérablement influé sur son comportement. Libido en hausse qui la dévore et surtout goût soudain de plus en plus prononcé pour la chair sous toutes ces formes. Il suffit d'une épilation intime entre sœurs qui tourne mal pour que l'affaire se corse…
On ne voudrait pas vous en dire plus mais vous saurez très vite par toute la presse qu'il est fortement question de cannibalisme. Grave, écrit, construit et mené avec brio, est un bijou pour les amateurs du genre, qui ne seront pas difficiles à convaincre. Mais que les autres ne se détournent pas pour autant, par crainte instinctive du sujet : c'est un film étrange et fascinant, variation assez vertigineuse sur la construction de l'identité d'une jeune fille passant par la transgression des tabous, tant sexuels que moraux. On peut d'ailleurs penser que ce n'est pas un hasard si la réalisatrice a choisi pour son personnage principal le prénom de Justine, référence à l'héroïne de Sade, victime de ses initiateurs puis finalement adepte des plaisirs que cette initiation lui procure…
Mais Grave prend aussi une dimension de fable morale curieusement malicieuse en abordant l'antispécisme  de manière à la fois frontale et finalement jubilatoire, ne serait-ce qu'en prouvant bien qu'il ne faut surtout pas forcer un végétarien à manger de la viande ! Car poussons le raisonnement jusqu'au bout : si on peut manger de la viande, pourquoi ne pas manger son semblable, puisque comme nos frères animaux nous ne sommes que chair (une réflexion que me répète en boucle ma chérie végétarienne) ?
Bref c'est tout à fait passionnant et Julia Ducournau orchestre cette petite leçon de philosophie horrifique avec un talent fou. Chapeau !