Le Client

Contraints de quitter leur appartement du centre de Téhéran en raison d'importants travaux menaçant l'immeuble, Emad et Rana emménagent dans un nouveau logement. Un incident en rapport avec l’ancienne locataire va bouleverser la vie du jeune couple.

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CANNES 2016 - COMPÉTITION

Scènes de ménage

De retour à Cannes deux ans après y avoir présenté Le passé, qui a valu à Bérénice Bejo le prix d’interprétation féminine, Asghar Farhadi s’est fait remarquer avec Une séparation (2011), Ours d’or à Berlin, Oscar (le premier pour un film iranien), César et Golden Globe du meilleur film étranger. On lui doit également Danse dans la poussière (2003), Les enfants de Belle Ville (2004), La fête du feu (2006) et  À propos d’Elly, Ours d’argent de la mise en scène à Berlin en 2009. Le client évoque l’implosion d’un couple qui interprète la pièce d’Arthur Miller, Mort d’un commis voyageur (portée une quinzaine de fois à l’écran). Selon le réalisateur, Le client peut s’envisager selon de multiples points de vue. En effet, explique-t-il, “tout dépend des préoccupations et du regard du spectateur. Celui qui le verra comme un film social retiendra les éléments relatifs à cet aspect. Un autre pourrait n’adopter qu’un point de vue moral ou un angle encore différent. Ce que je peux dire, c’est qu’une nouvelle fois, ce film traite de la complexité des relations humaines, surtout au sein d’une famille ou d’un couple. ”Cette subtile mise en abyme réunit Shahab Hosseini, l’un des acteurs fétiches de Farhadi, primé lui aussi pour Une séparation à Berlin, et Taraneh Alidoosti, Léopard de bronze de la meilleure actrice à Locarno pour le rôle-titre de I Am Taraneh, I Am Fifteen Years Old de Rasoul Sadrameli (2002). 

 

Le vendeur

Mystères de la traduction : le titre persan « forushande » signifie « le vendeur » et le film sort en France sous le titre « le client »… Pas essentiel sans doute, mais garder en tête le sens du mot persan permet de mieux comprendre les ponts que Farhadi jette entre son histoire et la pièce de théâtre que jouent ses protagonistes… Emad et Rana sont en effet comédiens et on entre dans leur intimité au moment où approche la première représentation de La Mort d'un commis voyageur, dans laquelle ils interprètent les rôles principaux du père et de la mère, largement quinquagénaires. 
Dans la vie en vrai, ils sont bien plus jeunes, sans enfant, avec tout le temps devant eux pour se découvrir, construire un foyer. Un couple de la classe moyenne supérieure, deux êtres cultivés partageant les mêmes centres d'intérêt… Cela ne donnerait guère matière à une histoire s'il n'y avait un « mais », si chaque détail, loin d'être innocent, ne s'attachait à refléter le malaise social ambiant. Car la salve du réalisateur envers la société iranienne contemporaine est violente pour qui sait être attentif. Tout ce qui semble de prime abord anecdotique ne l'est pas du tout et se décline de manière toujours plus complexe au fil des avancées du récit. 
D'abord ce premier appartement, dans un vieil immeuble ébranlé par les chantiers environnants, que le jeune couple doit quitter en catastrophe. Une fuite de gaz, des fissures inquiétantes, comme celles qui viennent vriller les fondements de la vie à Téhéran, sa pollution qui rend la vie irrespirable.
Puis ce nouvel appartement, qu'ils n'obtiennent que par copinage, dans lequel subsiste une pièce inaccessible, celle où l'ancienne locataire a laissé des effets personnels, des souvenirs dont on ne peut se débarrasser aisément. Comme si, en voulant fuir la décrépitude de leur passé, ils avaient hérités des impedimenta encombrants d'un autre. Prophétie d'un avenir qui ne tiendra pas ses promesses… Tout procède irrémédiablement vers une sorte d'instabilité générale, comme dans la pièce d'Arthur Miller. Ambiance tissée dans les non-dits, dans la peur du qu'en-dira-t-on et lestée par le poids des convenances, telle une oppressante toile d'araignée qui risque de se refermer inexorablement sur ses proies. 
Quel est le premier silence coupable qui va amorcer le piège ? Celui du loueur qui tait le métier de la locataire précédente ? Celui de Rana, qui, lorsqu'elle se fait agresser sous la douche, ne va même pas porter plainte ? Celui d'Emad, qui s'enfonce dans une forme de mutisme héroïque et décide de venger son orgueil mal placé ? Celui de la troupe qui fait semblant de ne rien voir ? Il y a tant d'autres silences encore… Mais peut-être est-ce, dans le fond, un seul et même silence, celui d'une société tout entière, fuyante, oppressée par le poids des règles qui imposent un rôle aux hommes comme aux femmes, jusque dans leur intimité, et dont il faudra un jour ou l'autre s'émanciper. En attendant, chacun, solitaire, fait comme il peut et affronte ces carcans qui corsètent les âmes et font que jamais ne tombent les voiles qui occultent parfois des plaies profondes.
Après un petit détour par la France avec Le Passé, Asghar Faradhi revient à ses racines.Le Client, dans la belle et forte lignée d'À propos d'Elly ou Une séparation (disponibles en Vidéo en Poche), est un superbe apologue sur la nécessité vitale d'une plus grande liberté pour le peuple iranien, et d'abord pour les femmes…