Corps et âme

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Mária, nouvelle responsable du contrôle de qualité et Endre, directeur financier de la même entreprise, vivent chaque nuit un rêve partagé, sous la forme d’un cerf et d’une biche qui lient connaissance dans un paysage enneigé. Lorsqu,ils découvrent ce fait extraordinaire, ils tentent de trouver dans la vie réelle le même amour que celui qui les unit la nuit sous une autre apparence...

Vos commentaires et critiques :

Comme souvent les grands films, celui-ci nous captive et nous embarque dès les premières images. Premier plan : un couple de cervidés majestueux marche dans la neige d’une forêt endormie pour l’hiver. Distants et étrangement solidaires, ils s’observent du coin de l’œil, se cajolent secrètement. Plan suivant : une vache aux yeux expressifs, coincée dans une cellule trop étroite, essaie de happer une brise d’air frais venue du dehors. Désespérément seule dans un univers de béton, loin de son élément naturel. 
En quelques secondes nous sommes à la croisée de deux mondes. Du premier on peut rêver, mais toujours le second vous rattrape, réaliste et clinique. Comme la blancheur immaculée de la graisse des bêtes que l’on sacrifie. Car nous sommes dans l’endroit le plus improbable pour faire naître une histoire d’amour. Et pourtant… C’est bien dans un abattoir des plus proprets que la magie va se produire. Il faut dire que le directeur de l’établissement est un personnage très éloigné de l'idée qu'on pourrait s'en faire. Endre n’a rien d’un boucher sanguinaire et insensible. Seuls ceux qui ont de l’empathie pour les bêtes ont de la place dans son métier, il le dit sans détours. De lui se dégage une sensation de puissance douce, de distance semblable à celle des vieux cerfs nobles et sauvages qui savent que pour eux la partie est terminée et se contentent de survivre, solitaires, en marge de la harde et de l’observer. 
Du haut de son bureau, le monde semble devenu insignifiant. Pourtant, un matin, parmi ses employés, quelque chose attire son regard. Plus qu’une silhouette c’est une attitude qu’il remarque. Celle d’une jeune femme blonde et gracile, qui se tient en retrait du groupe. Elle a le regard d'une biche aux abois et semble vouloir se tapir à l’ombre de grands arbres qui n'existent pas dans la cour goudronnée. Renseignements pris, elle est la nouvelle contrôleuse qualité, tatillonne, taiseuse, qui passe aux yeux de tous pour une sorte de bêcheuse tant elle n’essaie pas de communiquer. Mais en est-elle capable ? Le soir, dans son appartement aussi aseptisé qu’une maison de poupée, elle remet en scène sa journée de manière cocasse, les personnages qui l’ont peuplée, un surtout… Puis, au réveil, elle repart vers son boulot, accomplissant impeccablement sa mission. Chaque jour arrive comme une vague de routine où elle se replonge sans mot dire. Sauf à son psy, un vieux bonhomme usé qui ne cesse comiquement de lui seriner « Mária, vous ne voudriez pas vous trouver un psychiatre pour adultes ? » Et tombe toujours le même « non », au grand désespoir du praticien. Tout le film est émaillé de ces fines scènes colorées de l’intérieur, poétiques, drôles, qui créent autour des personnages un patchwork subtil et attachant. 
On se prend à espérer que la main de Endre frôle celle de Mária. On se désespère quand cette dernière le repousse, les renvoyant tous deux à leur immense solitude, à leurs handicaps respectifs. Car l’incapacité de Mária, à aller au contact des autres, si elle est moins apparente que la paralysie qui frappe le bras de son patron, n’en est pas moins violente.
Il faudra l’intervention d’une croustillante rousse pulpeuse pour les projeter dans une autre dimension, celle de leurs songes. Après avoir pensé à quelque méchante plaisanterie, Mária et Endre vont devoir se plier à l’évidence déroutante. Au cœur de chaque nuit, dans le creux intime de leurs rêves, ils galopent ensemble. Lui le cerf solitaire, elle la biche effarouchée…
Dans ce film splendide, les mots en disent moins long que les regards. Et celui de la réalisatrice n’est pas loin d’évoquer l’univers tendre d’un Buster Keaton : une ironie douce amère mâtinée de compassion. Une forme de désespérance joyeuse, discrète, qui nous ramène humblement à notre condition humaine. L’essentiel restant à tout jamais invisible pour nos yeux.

 * Le film se déroulant dans un abattoir les animaux tués ne l'ont pas été pour les besoins du film mais simplement pour leur usage. Il s'agit d'un abattoir ultra-moderne, humanisé, où l'animal ne subit aucune souffrance. Important à signaler pour nos amis des animaux dont je fais partie.