Si Beale Street pouvait parler

Harlem, dans les années 70. Tish et Fonny s'aiment depuis toujours et envisagent de se marier.
Alors qu'ils s'apprêtent à avoir un enfant, le jeune homme, victime d'une erreur judiciaire, est arrêté et incarcéré.
Avec l'aide de sa famille, Tish s'engage dans un combat acharné pour prouver l'innocence de Fonny et le faire libérer...

Vos commentaires et critiques :

Il n’y a pas que les humains qui parlent, il y a aussi les rues comme le dit le titre. Et puis les images. Celles de ce Harlem des années 70 sont d’une beauté limpide. Tout autant que l’est le noir lumineux des yeux de la jeune Tish qui expriment tant d’amour, tant de confiance quand elle les plonge dans ceux de Fonny. Ces deux-là se connaissent depuis leurs plus tendres années. Lorsqu'au sortir de l’enfance ils se déclarent leur flamme, elle n’est que le prolongement d’une grande complicité harmonieuse. C’est une relation sans l’ombre d’un doute qui se vit-là, pleine d’espoir : celui de l’avenir radieux promis à ceux qui vont de l’avant, courageux devant l’adversité, les obstacles. Ils sont si beaux à voir qu’on s’attache instantanément à eux. On se sent même en totale adéquation avec l’admirable famille de Tish qui transpire non pas la richesse financière mais celle indéfectible du cœur. Les River sont nés pour se serrer les coudes. Toujours prêts à affronter les épreuves de la vie à coups de solidarité, à coups d’humour ou, s’ils ne suffisent pas, d’une rasade de jazz ou d’une lichette de vieux rhum. Si leur monde n’est pas idyllique, il transpire l’harmonie, la joie de vivre qui équilibre chaque instant. On se demanderait même pourquoi un roman puis un film en sont nés, puisque les gens heureux n’ont pas d’histoire… 
Tish est jolie et intelligente, Fonny est sage et tendre. Malgré les gros yeux que fait sa mère qui pense que son fils fréquente au-dessous de sa condition, il est évident que ces deux-là formeront un couple heureux. Seulement c’est compter sans le défaut majeur qu’ils affichent aux yeux de l’Amérique dominante de l’époque : ils sont noirs de peau… Ce qui aurait pu n'être qu’une idylle heureuse va donc prendre une ampleur politique, mêlant l’intime au propos universel, et se transformer en critique lucide d’un système inique. 
Alors que Fonny et Tish, soutenus par la famille de cette dernière, cherchent désespérément un appartement pour fonder leur foyer, va se produire au détour d’une rue un événement qui va changer le cours de leur vie qu’ils rêvaient sans vagues… Rappel cruel que l’ascension sociale promise par le fameux rêve américain n’est souvent accessible qu’à ceux qui sont nés aussi blancs que des cachets d’aspirine et, de plus, dans les bons quartiers.
Le film tire sa force de la reconstitution très fidèle à l’esprit du roman et de l’époque. Il s’en dégage une ambiance douce, sans amertume, où violence et révolte restent feutrées, mais cela les rend d’autant plus prégnantes. Il pourrait y avoir de l’aigreur face à l’injustice. C’est justement son absence qui renforce la puissance du récit, laissant les sentiments des spectateurs prendre le relais. Les moteurs qui animent les personnages principaux sont toujours nobles et font d’autant plus ressortir, par contraste, les vilenies de leur temps, si lointain, toujours proche. Tandis que le racisme crasse essaie de les diminuer, les personnages avancent fiers et droits, refusant les raccourcis, la haine aveugle, cultivant la beauté, refusant la laideur. Tout ici n’est que poésie, musique, chants d’espérance.