Je suis un soldat

Sandrine, trente ans, est obligée de retourner vivre chez sa mère à Roubaix. Sans emploi, elle accepte de travailler pour son oncle dans un chenil qui s'avère être la plaque tournante d'un trafic de chiens venus des pays de l'est. Elle acquiert rapidement autorité et respect dans ce milieu d'hommes et gagne l'argent qui manque à sa liberté. Mais parfois les bons soldats cessent d'obéir.

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SPÉCIAL CANNES

C'est un excellent thriller social, qui rappelle certains films des frères Dardenne dont il partage le même terreau géographique et le même attachement aux valeurs et aux questionnements (parfois sans réponse) qui traversent la classe ouvrière humiliée et désemparée. Un premier long métrage, une vraie réussite d'un jeune réalisateur moult fois primé pour ses courts métrages et ses pièces de théâtre. Un film porté par deux grands comédiens, mais où les seconds rôles crèvent l'écran tout autant.

Le personnage principal de Je suis un soldat est paradoxalement une femme, Sandrine, tout en énergie et en combat permanent, incarnée par une formidable Louise Bourgoin. Sandrine parlera à bien des jeunes femmes qui, un jour, après avoir acquis leur indépendance, se sont retrouvées obligées pour des raisons économiques de regagner le giron familial.

Dans une des premières scènes, elle fait l'humiliant état des lieux de sortie de sa studette devant un agent immobilier méprisant qui se moque comme d'une guigne de savoir si elle pourra récupérer son indispensable caution. Direction Roubaix et la maison maternelle où elle camoufle son barda dans la cabane de jardin, voulant dans un premier temps cacher qu'elle est là pour bien plus que quelques jours de vacances. Sa mère l'accueille avec bonheur mais embarrassée, puisque sa chambre a été prêtée à sa sœur cadette et à son mari, qui attendent d'avoir fini de construire leur future maison. Dans cette famille ouvrière, on est taiseux, on cache les problèmes, on les minimise.

Sandrine se refuse dans un premier temps à révéler la vérité, le beau-frère fait comme si tout allait bien alors qu'il enchaîne les CDD sous-payés, et que sa maison est un chantier ressemblant au tonneau des Danaïdes. La mère donne le change alors qu'au supermarché où elle travaille, elle est quotidiennement humiliée par une supérieure bien plus jeune qu'elle. Et il y a l'oncle Henri, qui tient un chenil, toujours généreux avec la famille : tout le monde sait que sa richesse est suspecte mais chacun fait comme si de rien n'était. Dans la galère, Sandrine va accepter de travailler pour lui et découvrir peu à peu que son chenil prospère grâce à un trafic illégal de chiots avec les pays de l'Est, à coup de faux certificats de vaccination fournis par un vétérinaire complice. Et la jeune femme, désireuse de retrouver une place dans la société et dans sa famille, va s'enfoncer dans ce trafic, parfait petit soldat de son oncle. Mais jusqu'où ira-t-elle avec ou contre cet homme qui peut se montrer protecteur et généreux, mais aussi violent et cruel, n'hésitant pas à la mettre en danger pour ses intérêts ?

Je suis un soldat, dont le titre évoque à la fois le personnage de Sandrine et, ironiquement, une chanson de Johnny Halliday, est une puissante réflexion sur la façon dont les gens modestes – pour ne pas dire les pauvres – sont contraints – certains de meilleur gré que d'autres – de renier leurs valeurs, de trahir leur classe pour se tailler une part ridicule du gâteau de la réussite. Mais tout espoir ne doit pas être perdu : les réflexes humains élémentaires se réveillent lorsque la famille est en danger…