Retour à Forbach -12

Régis Sauder revient dans le pavillon de son enfance à Forbach. Il y a 30 ans, il a fui cette ville pour se construire contre la violence et dans la honte de son milieu.
Entre démons de l’extrémisme et déterminisme social, comment vivent ceux qui sont restés?
Ensemble, ils tissent mémoires individuelles et collectives pour interroger l’avenir à l’heure où la peur semble plus forte que jamais.
  • Titre original : Retour à Forbach
  • Fiche mise à jour le 26/03/2017
  • Classification : Interdit aux moins de 12 ans
  • Année de production : 2017
  • Réalisé par : Régis Sauder
  • Date de sortie : 19 avril 2017
  • Date de reprise : non renseignée
  • Distributeur France : Docks 66
  • Distributeur international : non renseigné
  • Durée : 79 minutes
  • Origine(s) : France
  • Genre(s) : Documentaire
  • Pellicule : couleur
  • Format de projection : 16/9 - HD
  • Format son : Stéréo
  • Visa d'exploitation : 146217
  • Indice Bdfci :
    66%

Vos commentaires et critiques :

Forbach, département de la Moselle, dans le bassin houiller lorrain. Forbach, pour François Hollande en 2012, ce fût un peu comme Gandrange pour Nicolas Sarkozy en 2007. Un décor, un symbole, l'artifice nécessaire pour faire revivre, le temps d'un discours, le souvenir d'une gloire industrielle passée. Un emblème, une décoration qu'un candidat se doit d'accrocher à sa boutonnière en gage de son attachement, forcément sincère, aux « classes populaires ». Dans le discours, à Gandrange, à Forbach, on s'attriste du constat de la région dévastée par la désindustrialisation. On promet à demi-mots, on glisse quelques ferments d'espoir, bien généreux et bien généraux. On fait l'éloge de la si belle diversité. Puis on laisse entendre qu'il n'y a pas de fatalité, qu'il suffit, en votant correctement, de prendre en main son destin. Marseillaise. Ovation. Départ. Jusqu'à la prochaine campagne électorale.
C'est Forbach ou Gandrange, ce serait tout aussi bien Hénin-Beaumont, Beaucaire, Béziers, Fréjus, Orange, Carmaux ou Liévin. Ces villes, ces territoires, qui ont en commun d'être passés sous le rouleau compresseur de la bienheureuse mondialisation et sa cohorte de délocalisations. Dont on sent bien le pouls battre encore, même faiblement, parce qu'il y a des gens qui y vivent. Mais dont l'état alarme, tant il est de plus en plus difficile à imaginer que le tissu économique puisse être durablement ravaudé – à l'ancienne, à « l'industrielle ». Des villes où les commerces de proximité, les uns après les autres, baissent inexorablement le rideau. Où fleurissent les « baux à céder », les « liquidations totales », où les centres commerciaux même, que des décennies de politiques irresponsables ont disséminé dans les périphéries, peinent à survivre hors du triste modèle du discount alimentaire. Ceci expliquant cela, ces villes, anciennement bastions des forces dites « de progrès », ont également comme caractéristique commune d'offrir aujourd'hui leurs meilleurs résultats électoraux au(x) parti(s) d'extrême-droite.
Régis Sauder n'était pas revenu à Forbach depuis de très longues années. Presque contraint – il a fallu que s'en mêlent les derniers effets du grand chambardement familial, l'obligation faite aux enfants de régler les affaires de leurs parents – il retrouve, redécouvre la ville qu'il confesse avoir fui quelques trente ans plus tôt. Il met à profit ce « retour au pays natal » imposé pour tenter de raconter ce que fût la cité industrielle qu'il a quittée et ce qu'est la ville profondément abîmée qu'il retrouve. Filmé le temps des quelques saisons qu'il aura fallu pour mettre un point final à une histoire personnelle, Retour à Forbach s'échappe rapidement des sentiers balisés du documentaire autobiographique. Régis Sauder change les règles du « je » et nous emmène, au gré des visites, des rues, des rencontres ou des retrouvailles, à le (re)découverte de sa ville, passant d'un lieu emblématique à un autre, de la maison au collège, de la mine au poste frontière, du centre-ville à la cité.
La parole mise en valeur est bien moins celle du cinéaste que celle de ces « vies qui ne laissent pas de traces », toutes les Forbachoises, tous les Forbachois qui, n'ayant pas fuit, peuvent légitimement raconter, expliquer le lent et inexorable déclin social de la ville, couplé à l'essor du Front National. On y parle sans détour de l'exclusion, de la misère et du racisme. On décrit les dérives d'un urbanisme déshumanisé. On raconte la fermeture des usines, l'horizon bouché, le lien social qui se rompt, le sentiment d'abandon. Le portrait choral, populaire, pluriel et complexe que ces témoins esquissent de leur ville, de son histoire, passionne en déjouant clichés et a-priori. Et, au-delà du récit intime de son retour, au-delà de Forbach blessée, meurtrie mais bien vivante, « entre démons de l’extrémisme et déterminisme social », Régis Sauder nous raconte un temps présent en mal de son histoire, de sa mémoire. Pas poseur ni donneur de leçons pour un sou, il tâtonne, questionne, cherche, écoute – et signe avec Retour à Forbach un grand film politique de portée universelle. Évident, simple et limpide. Indispensable.