Vitalina Varela

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Vitalina Varela, une Cap-Verdienne de 55 ans, arrive à Lisbonne trois jours après les obsèques de son mari qui y avait fait sa vie loin d’elle. Elle a attendu son billet d’avion pendant plus de 25 ans.

Vos commentaires et critiques :

 

Vitalina Varela est assurément un des sommets de l’œuvre du portugais Pedro Costa, cinéaste marginal et confidentiel de génie. Il fait partie de ces films qui contiennent tout un monde. Ces films qui, par on ne sait quel miracle, renferment la somme de ce qu’un artiste a mis tant d’efforts à formaliser et qui trouve tout à coup un aboutissement limpide. Depuis une trentaine d’années, Pedro Costa a entrepris un travail cinématographique sur, et surtout « avec », la communauté Cap-Verdienne, irrémédiablement liée à l’histoire de la colonisation portugaise, et en particulier celle du quartier de Fontainhas, faubourg pauvre de la banlieue de Lisbonne. C’est là, sur un précédent tournage, qu’il a rencontré Vitalina Varela : une Cap-Verdienne de 55 ans arrivée trop tard pour les obsèques de son mari qu’elle n’aura vu que deux fois en 40 ans, depuis qu’il est parti au Portugal dans l’espoir de trouver une vie meilleure. Pedro Costa consacre à cette femme un film vibrant, accompagnant sa tristesse et sa colère dans un geste esthétique d’une force et d’une cohérence renversantes. Vitalina est un personnage plongé dans la nuit du monde : abandonnée par une histoire officielle inavouable, blessée par une tragédie intime qu’elle ne peut que vivre seule. Pedro Costa témoigne de son histoire en construisant chaque plan comme un combat contre les ténèbres, dans des clair-obscurs somptueux, arrachant à la noirceur le visage et les gestes de Vitalina Varela comme autant d’éclats de lumière.
Quand Vitalina descend pieds-nus sur le tarmac de l’aéroport, il est déjà trop tard. L’enterrement a eu lieu il y a trois jours. Quarante ans et trois jours de trop, dit-elle. Trop tard pour dire au revoir peut-être, mais il reste à Vitalina à arpenter les lieux de l’ancienne vie de son mari. Elle est venue voir ce pour quoi il l’a quittée et elle ne voit que misère. Dans le bidonville où il vivait, elle est une étrangère. Les autres sont des ouvriers cap-verdiens depuis longtemps immigrés, restés au bord d’une promesse jamais tenue et contre laquelle Vitalina enrage. Qui pouvait croire qu’il y avait ici mieux à vivre que sur les flans fertiles des volcans de leurs îles natives ? Patiemment, Vitalina écoute, regarde, apprend à nouer quelques relations prudentes. Elle questionne le prêtre qui a connu son mari et qui l’a enterré. Vitalina est née avec la foi, c’est Dieu qui est parti. Un jour, l’amour est arrivé dans sa vie et il a déserté. Aujourd’hui, les monologues de Vitalina comblent cet espace laissé vide. Il faut apprendre à vivre avec : voilà, au fond, ce qu’elle est venue faire ici.
Le travail plastique monumental effectué par Pedro Costa et son chef opérateur Leonardo Simões évoque immanquablement les grands peintres de la lumière, du Caravage à Géricault en passant par Rembrandt. Dans un temps qui paraît suspendu, Costa sculpte les nuances de noir à la manière d’un Soulages et transperce l’obscurité par la dignité extraordinaire d’une femme qui affronte les abîmes. Les films de Pedro Costa ne cherchent pas à enluminer la misère, ils se tiennent aux côtés des oubliés, condamnés à l’ombre, en exaltant leur beauté dans un geste politique et poétique. Par ce film éponyme à nul autre pareil, Vitalina Varela et Pedro Costa leur érigent un monument majestueux : un requiem écrit sur des reflets de jais.