Zombi Child

Haïti, 1962. Un homme est ramené d’entre les morts pour être envoyé de force dans l’enfer des plantations de canne à sucre. 55 ans plus tard, au prestigieux pensionnat de la Légion d’honneur à Paris, une adolescente haïtienne confie à ses nouvelles amies le secret qui hante sa famille. Elle est loin de se douter que ces mystères vont persuader l’une d’entre elles, en proie à un chagrin d’amour, à commettre l’irréparable.

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Quinzaine des réalisateurs 2019

Secret de famille

Arès avoir réalisé Saint-Laurent et Nocturama, Bertrand Bonello avait envie de revenir à un projet plus léger en termes de production. Zombi Child puise son inspiration dans l’histoire de Clairvius Narcisse, donné pour mort en 1962, puis revenu dans le monde des vivants 18 ans plus tard après avoir été zombifié. L’un des rares cas à avoir été précisément documenté. Pour des raisons éthiques, le cinéaste souhaitait tourner à Haïti sur les lieux même de l’action. “Ce que nous avions à faire était assez simple puisque c’était surtout montrer un homme qui marche. En filmant ces scènes dans un autre pays, elles auraient perdu beaucoup de sens pour moi. Et puis je ne voulais pas recréer une  cérémonie vaudou ailleurs.” Le cinéaste va recevoir beaucoup d’avertissements sur ce pays réputé comme étant très compliqué pour y tourner. Il effectuera trois voyages afin de se faire avant tout accepter par des Haïtiens très remontés contre le regard des Blancs sur leur pays. “Au bout du compte, comment avons-nous réussi à tourner là-bas ? Je crois qu’il nous a fallu un mélange de chance, de pugnacité, d’organisation et le soutien d’une équipe haïtienne engagée à nos côtés et emmenée par notre productrice exécutive, Guetty Félin.” Une première pour Bertrand Bonello qui n’avait encore jamais travaillé à l’étranger. Le tournage va se scinder en deux parties, le réalisateur commençant par la France avant de tourner en Haïti. Film sans vedettes, Zombi Child a été produit pour Les Films du Bal par Judith Lou Lévy, accompagnée de son associée, Eve Robin.

Passionné par Haïti, par la richesse et la singularité de sa culture, Bertrand Bonello s'est plongé dans la tradition vaudou et l'une de ses figures emblématiques : le zombi. On écrira donc zombi et non zombie, qui est l'orthographe américaine. Bonello revient ici à l'origine haïtienne de cette créature retirée du monde, condamnée à la mort sociale, empoisonnée, enterrée puis exhumée pour devenir, sous l’effet de la drogue et de la sujétion, un marginal sous contrôle, un esclave pour dire le mot… Zombi child se présente ainsi comme la suture formelle d’une plaie historique. Deux récits de temporalité différente y alternent et s’y aimantent.
Ici, filmée en Haïti et rendue célèbre par l’étude de l’anthropologue Wade Davis (Le Serpent et l’arc-en-ciel), l’histoire d’un des plus célèbres zombis haïtiens. Celle de Clairvius Narcisse, zombifié par son propre frère pour une question d’héritage, et donc mort deux fois : en 1962, de mort culturelle, et en 1994, de mort naturelle. Là, recluse dans un établissement d’excellence de la région parisienne destiné à des jeunes filles issues de familles ayant mérité de la nation (la Maison d'éducation de la Légion d'Honneur à Saint-Denis), une histoire d’amour et d’amitié contemporaines au sein d’une sororité.
La partie haïtienne suit l’homme zombifié réduit en esclavage et sa libération. Elle est tout en mouvement alangui, se déplace dans le monde magique des esprits, se dispense de discours, s’expose au théâtre de la nature, où elle alterne l’explosion solaire et la sous-exposition crépusculaire de l’homme aliéné. La partie française raconte le chagrin d’amour épistolaire d’une adolescente et son histoire d’amitié avec un groupe de jeunes filles dans lequel elle a fait entrer Mélissa, qui n’est autre que la petite-fille du marabouté. On est ici et à la fois dans le huis clos de la méritocratie républicaine et dans la vivacité romantique d’un imaginaire de jeunes filles.
Deux réalités a priori très éloignées l’une de l’autre – formellement et culturellement –, que Bertrand Bonello tisse subtilement entre elles. Il y a, bien sûr, le personnage de Mélissa, mais aussi le professeur d’histoire du collège, interprété par Patrick Boucheron, qui pose la question épineuse de la conformité de la République aux valeurs qui la fondent. Il y a la férule institutionnelle qui ne possède pas moins l’esprit et le corps que le vaudou. Il y a le terme à double face (collégial et féministe) de « sororité », qui témoigne lui aussi d’une expérience de minorisation sociale. Il y a enfin Fanny, brisée par son chagrin d’amour, qui sollicite auprès de la tante de Mélissa un désenvoûtement vaudou.
Très beau film en conséquence, avec ce que peut avoir de lacunaire et de vivifiant un budget et un tournage ultra-serrés, qui s’arc-boute avec grâce au-dessus d’une brèche historique et culturelle. Monde primitif et monde civilisé. Magie et rationalité. Tragédie des opprimés et comédie des maîtres. Autant de pôles antagonistes que le cinéma – posant l’équivalence de la sensation et de la pensée – raccommode à défaut de les réconcilier, en montrant le degré d’intimité qui les fait s’appartenir plutôt que s’exclure.