L'idiot ! TP

Dima est un jeune plombier qui doit gérer les canalisations des HLM d'un quartier d'une petite ville de Russie. Un soir, lors d'une inspection de routine, il découvre une énorme fissure qui court le long des façades de l'immeuble. Selon ses calculs, le bâtiment est sur le point de s'effondrer et d'ensevelir les 800 locataires qui y vivent.

Vos commentaires et critiques :

Si l'idiot de ce saisissant thriller social russe partage avec le prince Mychkine, le personnage de Dostoievski, une inextinguible générosité envers autrui qui le fait passer pour un crétin auprès de son prochain, sachez que le rapprochement s'arrête là. Le titre français affiche volontairement un point d'exclamation car il est plutôt une invective jetée régulièrement au visage de son héros par sa mère, sa femme, ses voisins, par presque tout le monde en fait… La traduction littérale du titre russe se rapprocherait plutôt de quelque chose comme « trop con ». Et pour clore la comparaison avec le chef d’œuvre de Dostoievski, on est ici bien loin de la Russie tsariste et du milieu aristocratique dans lequel se situe l'intrigue du roman – même si la Russie d'aujourd'hui peut ressembler à celle d'Alexandre II, au vu de sa corruption endémique et de son autocratie. Dmitri est loin d'être prince, c'est un honnête plombier en charge de la maintenance des canalisations des HLM de sa petite ville, qui se débat bien souvent avec des bâtiments en voie de délabrement après seulement une quarantaine d'années, victimes de constructions à la va vite durant l'ère Brejnev et de l'absence de réhabilitation durant les décennies qui ont suivi.
Dmitri, beau gars avenant d'une trentaine d'années, vit comme beaucoup de russes appauvris, avec femme, enfant et parents dans le même appartement, faute de moyens. Et les relations sont souvent compliquées. La mère, ancien médecin, perçoit une misérable retraite (c'est le lot de nombreux médecins du service public en Russie) et reproche perpétuellement à ses maris et fils leur manque d'ambition professionnelle. Pourtant Dmitri étudie la nuit pour se former à l'architecture et ainsi progresser. Lui et son père partagent des qualités rarissimes en Russie, des qualités qui son quasiment devenues des handicaps dans leur pays : imaginez vous qu'ils sont intègres, qu'ils ne profitent pas, qu'ils ne traficotent pas, et qu'ils se préoccupent même des espaces communs de leur immeuble, régulièrement dégradés, ce qui fait d'eux la risée du voisinage.
Un événement va mettre encore plus à l'épreuve le sens du devoir de Dmitri. Appelé dans un immeuble suite à l'explosion d'une conduite d'eau chaude, il découvre une énorme fissure qui part des fondations jusqu'au huitième étage. D'après ses premières estimations, le bâtiment peut s'effondrer, et ses huit cents locataires avec, dans les vingt-quatre heures ! Pour lui, le compte à rebours est commencé et alors que tous ses collègues et sa famille l'incitent à ne pas faire de vagues, il va tenter d'alerter les autorités pour qu'on ordonne l'évacuation, allant même jusqu'à surgir au milieu de la fête d'anniversaire de la mairesse, entourée des hauts fonctionnaire de son équipe, plus ivres les uns que les autres.
Pas si simple de prendre des décisions a priori évidentes dans un monde où l'argent des travaux en principe planifiés est régulièrement détourné, dans un système où tout le monde est corrompu, des élus aux chefs de service décisionnaires et jusqu'aux exécutants. Et en l'occurrence cette histoire d'immeuble qu'il faudrait évacuer d'urgence pourrait tourner à la catastrophe pour des dizaines de décideurs et d'intermédiaires, et pire encore : les ruiner !
Dans la lignée de l'extraordinaire Leviathan, le film d'Andrei Zviaguintsev programmé chez nous l'an dernier, Yuriy Bykov décrit avec une intelligence cinglante une société totalement gangrenée par l'individualisme, les jeux de pouvoir et d'argent, l'arbitraire des flics assassins, et au bas de l'échelle l'alcoolisme et la violence endémiques. Une société où la dignité, la compassion, l'altruisme n'ont plus aucune place. Servi par des acteurs remarquables, L'idiot ! est un film captivant, qui vous tiens en haleine de la première à la dernière minute, à la fois description terrible d'un enfer sur terre et appel désespéré à la résistance, à la conscience citoyenne incarnées par ce Dmitri magnifiquement trop con.