La Femme qui est partie

Horacia sort de prison, trente ans après avoir été injustement incarcérée. Elle a désormais deux raisons de vivre : se venger de l’homme qui l’a fait condamner et retrouver son fils.

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Les âmes perdues

Lav Diaz est un cinéaste philippin en activité depuis presque quinze ans, auteur complet – pour La Femme qui est partie, il est scénariste, réalisateur, chef opérateur et monteur ! – d'une dizaine de films, qui jouissent d’une solide réputation (souvent acquise dans les plus prestigieux festivals), qui sont encensés par une critique quasi-unanime mais qui restent presque totalement méconnus du public. En tout cas en France. Précisons que le réalisateur est adepte des durées exceptionnelles – avec ses trois petites heures et ses cinquante poussières de minutes, La Femme qui est partie fait dans sa filmographie quasiment figure de court métrage – ce qui ne facilite pas la tâche, c'est un euphémisme, des distributeurs et des exploitants qui seraient tentés de les programmer dans les salles de cinéma ! On peut espérer que ce nouveau film, avec sa durée certes inhabituelle mais néanmoins abordable, sera pour un public curieux de territoires cinématographiques singuliers et audacieux l'occasion de découvrir un réalisateur hors norme, qui construit une œuvre certes exigeante mais accessible, d'une grande puissance formelle et qui embrasse l'histoire récente de son pays qu'on connaît mal, les Philippines.
Lav Diaz situe très précisément le récit de La Femme qui est partie en 1997, l'année où la Chine a repris le contrôle de Hong-Kong. « C'est ce qu'on peut appeler une année iconique. Aux Philippines, c'était une période noire. Les kidnappings avaient atteint un niveau record. Nous étions devenus la capitale asiatique du kidnapping. La plupart des victimes étaient de riches sino-philippins. Il y avait un fort sentiment anti chinois car tout le monde croyait, à tort, que les Chinois contrôlaient l'économie du pays. Il régnait aux Philippines une xénophobie tenace. J'ai choisi cette période foisonnante et mémorable comme ancrage esthétique et base narrative, pour pouvoir modeler les origines et les actions de mes personnages en conséquence. »
Le film s'attache au destin d'Horacia (magnifique Charo Santos-Concio), qui a passé trente ans en prison pour un crime qu'elle n'a pas commis. Innocentée par le passage tardif aux aveux d'une de ses co-détenues, elle est libérée et retourne dans la maison où elle vivait jadis. Elle n'y retrouve que l'ancienne servante de sa famille, qui y vit maintenant avec sa propre famille. Horacia lui laisse la disposition des lieux et part retrouver sa fille, qui s'est mariée. Son fils, lui, a disparu sans laisser de traces, sans donner de nouvelles. Malgré les prières insistantes de sa fille qui lui demande de rester auprès d'elle, Horacia décide de partir à la recherche de son fils, même si elle n'a quasiment aucune chance de le retrouver. Mais avant, elle veut se venger de l'homme qui l'a fait jeter en prison, un ancien amant éconduit, fou de rage lorsqu'Horacia l'avait délaissé pour épouser un homme d'un milieu social inférieur. C'est cet homme, Rodrigo, qui s'est débrouillé pour qu'elle soit accusée d'un crime qu'il avait lui-même commandité…
Même s'il s'inscrit dans la grande tradition du mélodrame (inspirée de Tolstoï, l'intrigue rappelle aussi celle du Comte de Monte-Cristo), le film est aux antipodes d'un récit classique avec suspense et rebondissements. Lav Diaz est un maître du dispositif formel et du plan fixe, aux cadres magnifiquement composés et éclairés dans un noir et blanc somptueux. Il nous immerge dans un environnement flottant, suivant son héroïne dans son parcours à la fois obstiné et incertain, au contact de personnages surprenants, et nous livre une parabole à la fois sociale, politique et allégorique.