Family Romance, LLC

Perdu dans la foule de Tokyo, un homme a rendez-vous avec Mahiro, sa fille de douze ans qu’il n’a pas vue depuis des années. La rencontre est d’abord froide, mais ils promettent de se retrouver. Ce que Mahiro ne sait pas, c’est que son “père” est en réalité un acteur de la société Family Romance, engagé par sa mère.

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Quelque part à Tokyo… sous les cerisiers en fleurs d’un rose enjôleur, une jeune fille de douze ans, Mahiro, a rendez-vous avec son passé : un père fantasmé qu’elle n’a plus revu depuis sa tendre enfance. Un rêve soudain exaucé qui semble presque trop beau pour être vrai.
Comme ni le titre, ni le nom du prolifique cinéaste (majeur !) allemand ne l’annoncent, autant le faire tout de suite. Cette « Romance familiale » surprenante est intégralement tournée en japonais, une langue que Werner Herzog ne maîtrise pas, mais dont il parvient à capter le ton juste. Sacré Herzog ! Qui aura décidément passé sa carrière à être là où on ne l’attend pas. D’Aguirre la colère de Dieu à Grizzly man, en passant par Le pays où rêvent les fourmis vertes, pour atterrir dans La Grotte des rêves perdus… il est impossible d’emprisonner le cinéaste dans une case étriquée. C’est là un de ses talents les plus remarquables : toujours savoir nous surprendre et, à 77 ans passés, continuer d’innover et de nous désarçonner. Magnifiquement filmé, tantôt à hauteur d’humanité, tantôt la surplombant, Family romance fait souvent oublier qu’il est une fiction. Le film est empreint d’une telle part de réalité qu’on se retrouve immédiatement troublés, délicieusement perdus comme ses protagonistes, entre chimère et pragmatisme, entre naturalisme et artificialité, entre ce qu’on aimerait croire vrai, ce qui doit l’être… Nos constructions et fantasmes propres viennent s’imbriquer à ceux des personnages. Il ne reste plus qu’à ouvrir son esprit, s’enhardir à suivre les indices oniriques qui tracent un pont entre le visible et l’invisible avec une véritable délicatesse poétique. Les pistes sont d’autant brouillées que l’acteur principal, Yuichi Ishii, joue son propre rôle, inspiré de sa vie et d’un phénomène de plus en plus répandu au Japon. On n’en dira pas plus sur le sujet, histoire de ne pas le déflorer.
En attendant, l’aventure débute avec la jeune Mahiro qui rôde autour d’un homme charismatique qu’elle a tout de suite repéré sur le pont populeux, leur point de rendez-vous… Un manège que Yuichi, l’homme en question, finira pas remarquer et qui le conduira à l’aborder : il est bien celui qu’elle espérait retrouver, son père. Le voilà qui doucement lui raconte sans tricher, sans faux semblants, sa part de vérité, le pourquoi du comment il est sorti de sa vie, sans jamais l’oublier, avec sobriété et sensibilité. Il se projette dans la tête de sa fille, imagine ses ressentis, les réactions de ses amis, questionne… Mahiro, lumineuse, tout en retenue, en essayant de ne pas sourciller, écoute, boit sans broncher les paroles sobres de ce père prodigue qui lui parait déjà ne plus être étranger. Il lui trouve des airs de ressemblance, la complimente, voit en elle ses qualités, les valorise, l’encourage. Elle se laisse troubler, il semble l’être tout autant. Tous deux s’apprivoisent. Progressivement elle laisse s’installer une belle connivence, une belle espérance dont chacun, chacune a besoin pour se faire une vie digne de ce nom. C’est le premier rendez-vous d’une longue série qui feront du bien à Mahiro, l’aideront à s’épanouir. Mais qui est réellement Yuichi ?
Le décor étant planté, laissons la magie du récit opérer. Il va s’émailler progressivement de scènes prises à la sauvette, tournées en « mode guérilla » faute d’avoir réussi à obtenir certaines autorisations officielles, ce qui confère au film un côté « pris sur le vif » assez saisissant. Plein d’humour, Family romance vient questionner non seulement le mode de vie nippon, mais interroge sur nos ultra-modernes solitudes.