Nos batailles TP

Olivier se démène au sein de son entreprise pour combattre les injustices. Mais du jour au lendemain quand Laura, sa femme, quitte le domicile, il lui faut concilier éducation des enfants, vie de famille et activité professionnelle. Face à ses nouvelles responsabilités, il bataille pour trouver un nouvel équilibre, car Laura ne revient pas.

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SEMAINE DE LA CRITIQUE 2018 

De la paternité

“Quand je préparais mon premier long, Keeper, je me suis séparé de la mère de mes enfants. J’ai appris, comme Olivier dans le film, à vivre seul avec eux, à les regarder, à les entendre et à les comprendre. Ce fut une période fondatrice pour moi, en tant qu’homme et cinéaste. Il fallait que j’écrive dessus, raconte  Guillaume Senez. J’ai visiblement encore des choses à dire sur de la paternité. Après l’avoir traité sous l’angle adolescent dans Keeper, je voulais l’incarner dans un personnage de mon âge qui, comme moi, cherche un équilibre entre engagement professionnel et familial.” Nos batailles est produit par Isabelle Truc (Iota Productions), qui accompagne le réalisateur depuis ses premiers films. Pour le rôle principal, Guillaume Senez pense à Romain Duris, “un acteur créatif et généreux qui m’a toujours intrigué par sa capacité à se renouveler”. Ce dernier a été convaincu par l’histoire et la méthodologie du cinéaste. “Une caméra à l’épaule qui suit l’action sans la précéder et laisse une liberté aux comédiens. Les dialogues ne leur sont pas donnés. Nous travaillons séquence par séquence. En improvisation, puis, petit à petit, en les accompagnant au plus près, nous arrivons ensemble aux dialogues sans qu’ils les reçoivent. Je sais où il faut arriver mais pas comment. Ce qui m’intéresse, c’est d’y arriver ensemble. Trouver une spontanéité, une honnêteté ensemble. Tout le monde participe, les comédiens et les techniciens. C’est un travail d’équipe.”

Personne n’est encore levé dans la maisonnée, pas même le jour. Mioches, épouse, tous dorment encore à poings fermés quand Olivier (Romain Duris, parfait) prend le volant dans la nuit finissante. Sans avoir vu l'aube, nous voilà engloutis dans la grisaille d’un entrepôt éclairé par la seule lumière artificielle de néons impitoyables. Malgré le froid qui règne et qui oblige chaque employé à rester emmitouflé à longueur de service, il n’y a rien de plus glacial que le bureau chauffé d’Agathe, la DRH implacable. C’est là qu’Olivier, qui est chef d’équipe, prend la parole pour essayer de défendre Jean-Luc, un de ses camarades dont elle lui annonce le licenciement. Protestations vaines face à un simple rouage qui ne fait qu’appliquer les décisions d’une invisible direction. Quelques instants plus tard, Olivier ne trouvera pas la force de regarder Jean-Luc dans les yeux, louvoyant, n’osant rien lui avouer tant il est dur d’assumer son impuissance face à un système où la philanthropie n’est pas de mise.
Retour au bercail… La petite commune est déjà plongée dans le noir. Les enfants installés dans leurs lits douillets résistent au sommeil comme s’ils espéraient secrètement entrapercevoir leur père… Entre temps on aura vu leur mère Laura se démener patiemment avec son lot quotidien : aller au rendez-vous chez la pédiatre, cuisiner, bichonner, jouer, surveiller la toilette, raconter des fables aux creux des oreillers pour aider le marchand de sable… Répondre avec un sourire un peu usé qu’elle va bien à celles qu’elle croise et qui s’inquiètent d’elle… Ce sont toujours les autres femmes qui lui posent cette question, devinant sans doute dans son regard une fragilité familière qu’elle essaie de dissimuler. Olivier, lui, tout occupé à se battre, important aux yeux de ses collègues qu’il essaie de défendre contre un patronat trop gourmand, n’a pas le temps de voir tout ça. 
C’est sans un mot, sans un adieu, sans laisser de piste que Laura va disparaître soudainement dans la nature… Plantant là tout son petit monde inquiet, ceux qu’elle aime, jusqu’à ses propres mômes. La caméra compréhensive ne la jugera jamais, lui accordant le droit de partir sans être considérée comme une mauvaise mère, respectant son choix. Dès lors, tout prendra une autre résonance. Les derniers mots dits, les dernières histoires racontées aux petits, Rose et Elliot, les « je t’aime… tu es belle » prononcés par ces derniers comme s’ils avaient perçu la faille, le départ à la dérive de leur maman, son sentiment de culpabilité, et voulu la soutenir à leur modeste manière.
Chacun à compter de cette minute va devoir s’adapter, solidaire, grandir plus vite, les enfants comme leur paternel qui devra apprendre à cuisiner plus qu’un bol de céréales. Olivier découvre les méandres de l’intendance familiale, subissant seul ce qu’ils affrontaient à deux, comprenant progressivement les difficultés auxquelles était confrontée quotidiennement sa compagne. Le voici à son tour ballotté entre plusieurs batailles : celle de la lutte syndicale qui doit continuer, celle de maintenir sa famille à flots, celle de retrouver Laura, celle de rester la tête haute dans cette petite ville où tout le monde semble avoir grandi ensemble, se tutoie, jusqu'au policier sensé mener l’enquête pour retrouver la disparue…
Il y a du vécu dans tout cela, le ton du film ne trompe pas. Derrière la caméra on sent le regard d’un père qui a connu ce parcours du combattant, appris à mieux regarder les autres. Sa bonhomie communicative bouscule une société où il est facile sombrer dans l’incommunicabilité mais où toujours il y aura des hommes et des femmes pour se serrer les coudes. On sort réjoui de ce récit qui ne donne pas de leçons, accepte chaque personnage tel qu’il est avec ses limites, ses beautés. Tout un monde dont on perçoit les motivations et qui, malgré ses craintes et ses regrets, avance fièrement avec et grâce aux autres. Vivifiante bouffée d’humanité qui réchauffe les cœurs malmenés par la vie.