La Caméra de Claire TP

Lors d’un voyage d’affaires au Festival de Cannes, Manhee est accusée de malhonnêteté par sa patronne, et licenciée. Claire, se balade dans la ville pour prendre des photos avec son Polaroïd. Elle fait la rencontre de Manhee, sympathise avec elle, la prend en photo. Claire semble capable de voir le passé et le futur de Manhee, grâce au pouvoir mystérieux du tunnel de la plage. Désormais Claire décide d’accompagner Manhee au café où elle a été licenciée. C’est le moment de découvrir le pouvoir de Claire à l’œuvre…

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CANNES 2017: SÉANCE SPÉCIALE

Chronique intime

La caméra de Claire est le deuxième film que tourne Isabelle Huppert sous la direction du cinéaste coréen Hong Sang-soo, après In Another Country, présenté en compétition à Cannes en 2012, comme La femme est l’avenir de l’homme (2004) et Conte de cinéma (2005). La comédienne, nommée cette année à l’Oscar de la meilleure actrice pour Elle de Paul Verhoeven, qui lui a valu son deuxième César, y a notamment pour partenaires l’architecte égyptienne Shahira Fahmy et la comédienne  Kim Min-hee, remarquée l’an dernier dans le rôle-titre de Mademoiselle de Park Chan-wook, et aussi à l’affiche d’Un jour avec, un jour sans (2015) de Hong Sang-soo. Le cinéaste est un familier de La Croisette où il a présenté à Un certain regard Le jour où le cochon est tombé dans le puits (1996), Le pouvoir de la province de Kangwon (1998), La vierge mise à nue par ses prétendants (2000) et Hahaha, qui a été primé en 2010.

Il y a des réalisateurs qui se montrent tellement prolifiques qu’on ne sait plus où donner de la tête, créant ainsi la sensation d’une vaste fête, d’un banquet où les profiteroles, le homard, la poule-au-pot, le Paris Brest, les flàmmenküeches et les rillettes se redresseraient d’un bon et crieraient en chœur : « Mange-nous ! Mange-nous ! »
Hong Sang-soo appartient typiquement à cette catégorie de cinéastes prolifiques (lui serait plutôt du côté festin liquide : c'est le soju qui invite, « Bois-moi ! Bois-moi ! »). Et c’est sans doute cela qui fait sa force : la fureur de vivre, de créer, d’être inépuisable, à contre-courant des logiques du marché et de production des films, des limites du temps aussi. Car ça en fait, du temps consacré à Hong Sang-soo, pour voir tous ses films… Rien qu’en 2017, il en aura réalisé trois, histoire que personne ne reste sur sa faim, ni sur sa soif. C’est donc après Le Jour d’après en entrée et Seule sur la plage la nuit en plat de résistance que nous passons au dessert avec La Caméra de Claire.
Tourné en catimini au cours d'un festival de Cannes et de façon totalement improvisée, le film croise le chemin de Claire (Isabelle Huppert), professeure et photographe à ses heures perdues. Loin du tumulte festivalier, elle photographie les gens qui la touchent, aussi bien ceux qui errent sur la plage que ceux qui attendent l’addition dans les bistrots. Et c’est en montrant ses photos à un drôle de couple coréen rencontré sur son trajet aléatoire, un réalisateur et sa productrice, qu’un revirement de situation inattendu se produit : sur l’un des clichés apparaît Man-hee (Kim Min-hee), belle, mystérieuse, magnétique. Elle a été licenciée un peu plus tôt par ladite productrice, au motif de « malhonnêteté ». La scène était d’ailleurs burlesque à voir : ça tournait autour du pot sans jamais que le morceau soit craché, déconcertant Man-hee qui avait beau jeu de tirer les vers du nez de sa chef pour n’obtenir en retour que des justifications confuses et hallucinées. On comprendra plus tard que le véritable motif était la jalousie, la productrice étant persuadée que son assistante fricotait avec son réalisateur fétiche…
Dans le cinéma de Hong Sang-soo, tout n’est qu’une longue suite de quiproquos, plongeant les personnages dans un flou et un malaise qui finit par les rendre un peu idiots, tant ils n’y comprennent rien eux-mêmes et règlent leurs comptes bizarrement. Claire, au milieu de tout ça, joue le rôle d’une guérisseuse. Douce, sereine, elle est l’accalmie après la tempête. Elle le dit elle-même, à sa manière : lorsqu’elle photographie quelqu’un, il n’est plus tout à fait le même ; le fait d’être photographié modifie imperceptiblement le comportement. Par son regard, les issues se révèlent, l’apaisement s’instaure, la réparation commence. Comme si l’objectif de sa caméra était en fait un baume d’Arnica digital…
Comédie exquise où tout se tisse avec légèreté, révélant une toile subtile dont les intersections se dévoilent dans un jeu inédit de décalages et d’énigmes, La Caméra de Claire réussit l’exploit de présenter Cannes comme on n’a pas l’habitude de le connaître : des professionnels du cinéma bien loin du tapis rouge, qui déambulent dans des rues étriquées aux aspects de passages magiques perdus dans l’espace-temps et dont on ne soupçonnait pas même l'existence. Le tout avec beaucoup d’humour, le personnage d’Isabelle Huppert allant jusqu’à dire : « C’est ma première fois à Cannes ! »