Feu follet

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Sur son lit de mort, Alfredo, roi sans couronne, est ramené à de lointains souvenirs de jeunesse et à l’époque où il rêvait de devenir pompier. La rencontre avec l’instructeur Afonso, du corps des pompiers, ouvre un nouveau chapitre dans la vie des deux jeunes hommes plongés dans l’amour et le désir, et à la volonté de changer le statu quo.

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Cannes 2022 - Quinzaine des réalisateurs

Le prince qui rêvait d’être un pompier

João Pedro Rodrigues a été révélé en 2000 par O fantasma, présenté à la Mostra de Venise. Quasiment sans paroles et purement nocturne, le film suivait un jeune éboueur homosexuel dans des campagnes de drague et de voyeurisme de plus en plus obsessionnelles. Le cinéaste portugais a réuni notamment Mauro Costa, André Cabral, Miguel Loureiro et Margarida Vila-Nova pour son nouvel opus coproduit entre la France et le Portugal, par Terratreme Filmes, House on Fire et Filmes Fantasma. Feu follet se présente comme une fantaisie musicale assez inattendue dans l’univers du cinéaste. Un conte érotique et politique, “dans lequel un roi sur son lit de mort, est ramené à de lointains souvenirs de jeunesse et à l’époque où jeune prince, il rêvait de devenir pompier. La rencontre avec l’instructeur Afonso, du corps des pompiers, ouvre un nouveau chapitre dans la vie des deux jeunes hommes voués à l’amour et au désir, et à la volonté de changer le statu quo”.

 

 

Voilà un film délicieusement fou, drôle, frais, impertinent, aussi court que revigorant, une invitation à la libération des zygomatiques et au déhanchement des corps engoncés, en même temps qu’un hommage – iconoclaste certes – aux « soldats du feu » qui font la une d’une actualité estivale dramatique pour la planète (on sait que le Portugal a payé un lourd tribu aux incendies qui ont ravagé – et ravagent encore à l’heure où ces lignes sont écrites – les forêts européennes).
Qui d’autre que le merveilleux et irréductible cinéaste portugais João Pedro Rodrigues aurait pu réunir dans le même film farce politique, anticipation (le film se déroule en 2069, nouvelle année érotique cent ans après celle chantée par Gainsbourg et Birkin), conte de fées, sexualité débridée, comédie musicale aux mélodies imprévisibles et hommage superbe au grands peintres de la Contre Réforme comme Le Caravage et Velázquez ?
Mais revenons au début d’une intrigue ébouriffante : nous sommes donc en 2069 et Alfredo, roi sans couronne (il est beaucoup question dans le film de royauté, laquelle marque la culture portugaise, mais elle n’existe plus depuis 1910), se meurt. Comme chaque mourant paraît-il, il se souvient des plus beaux moments de sa jeunesse, et tout particulièrement de celui où, jeune prince enfermé dans le faste et la rigueur de sa famille aristocratique bouffie de préjugés de classe post coloniaux, il décida de s’en échapper en devenant pompier dans une caserne où il rencontra l’amour sous les traits de son instructeur Afonso.
On ne saurait dire ce qui est le plus réussi dans cette fantaisie musicale (c’est ainsi que le réalisateur définit son film) : est-ce la beauté de la mise en scène et ses couleurs, aussi bien quand elle filme une scène d’un intérieur aristocratique, une pinède royale et ses arbres fiers et droits décrits comme des sexes en érection, des reconstitutions vivantes d’un tableau du Caravage (magnifique travail de Rui Poças, chef opérateur fidèle du réalisateur) ? Est ce l’humour omniprésent, tant dans les conversations aristocratiques désuètes que dans l’incroyable personnage de cette commandante butch et rousse tout droit sortie d’un film de John Waters, cet humour qui permet à João Pedro Rodrigues de réaliser sa première authentique comédie ? Ou est-ce l’inventivité picturale et érotique, les deux allant de pair, hommage à la fois aux corps dans toute leur diversité et aux artistes géniaux qui les ont autrefois peints (on ne voit guère que le Caravaggio du regretté Derek Jarman pour rivaliser dans l’inspiration esthétique) ? Sans oublier l’univers sonore de cette comédie musicale à nulle autre pareille, qui commence par une comptine écologique toute mignonne pour dériver vers plus de sensualité.
Enfin on ne pourra nier, dans un pays où l’héritage colonial et le racisme sont encore très présents, la dimension politique, ô combien ironique, du film, qui clôt cette histoire d’aristocrate en rupture de ban par une invention électorale subversive qu’on ne vous révèlera surtout pas.