Malmkrog

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Nikolai, grand propriétaire terrien, homme du monde, met son domaine à la disposition de quelques amis, organisant des séjours dans son spacieux manoir. Pour les invités, parmis lesquels un politicien et un général de l’armée Russe, le temps s’écoule entre repas gourmets, jeux de société, et d’intenses discussions sur la mort, l’antéchirst, le progrès ou la morale. Tandis que les différents sujets sont abordés, chacun expose sa vision du monde, de l’histoire, de la religion. Les heures passent et les esprits s’échauffent, les sujets deviennent plus en plus sérieux, et les différences de cultures et de points de vues s’affirment de façon de plus en plus évidentes.

Vos commentaires et critiques :

Cristi Puiu, le cinéaste qui a lancé la Nouvelle Vague roumaine avec La Mort de Dante Lazarescu en 2005, n’a jamais craint de mettre le public au défi, façonnant des films à la durée généralement significative avec des plans longs, des personnages complexes sur le plan moral et des dialogues d’une longueur habituellement réservée au roman. Cependant, alors que ses films précédents restaient accessibles et intéressants (y compris Aurora, qui consistait simplement en une déambulation du réalisateur avec un fusil), son nouveau film, Malmkrog [+], adaptation d’un texte du XIXe siècle par le philosophe et poète russe Vladimir Soloviev qui a fait l'ouverture de la nouvelle section compétitive du Festival de Berlin, Encounters, demande au spectateur un degré presque surhumain de dévouement, d’attention et d’endurance.
Alors que les Trois entretiens de Soloviev réunissait un groupe de Russes appartenant à l’élite passant leurs vacances de Noël dans une villa sur la Côte d’Azur, Puiu les place dans un manoir entouré de neige dans un lieu non-défini, quelque part à la fin du XIXe siècle. Le film, divisé en six chapitres dont chacun porte le nom d’un des six personnages principaux, prend la forme d’une série de discussions sur la guerre, la religion, la mort, l’amour et tous les aspects de la moralité. Les conversations sont, naturellement, toutes en français, car c'est la langue dans laquelle s'exprimait la haute société russe à l’époque.
Le propriétaire de la maison, Nikolai (Frédéric Schulz-Richard), a la prérogative de tenir le rôle du modérateur fort pondéré de ces discussions avec quatre autres des personnages clefs. Alors que le groupe de Soloviev ne se composait que de personnages masculins, Puiu a décidé d'y faire entrer trois femmes.
Dans le premier chapitre, Ingrida (Diana Sakalauskaité), une dame d'un certain âge, loue l'"héroîque" armée russe orthodoxe et ses conquêtes. Son attitude tout à fait militante est contrée par une jeune femme, Olga (Marina Palii), qui assure fermement que tuer une personne ne peut jamais être bon, quelles que soient les circonstances. Au terme de ces débats qui s'avèrent insoutenablement pénibles, même s'ils donnent à réfléchir (à ceux qui parviendront à rester concentrés), Édouard (Ugo Broussot) sort du lot en tant que suprémaciste relativiste qui divise le monde en deux catégories : les civilisés ("nous les franco-russes", et les autres grandes nations européennes) et les sauvages (le reste du monde, mais aussi les parties plus reculées du Vieux Continent, notamment les "Herzégoviniens"). Dans l’ombre de ces philosophes assez vocaux se cache Madeleine (Agathe Bosch), une femme d’âge moyen qui intervient occasionnellement avec des arguments sérieux, rationnels et parfois cinglants qui font honte aux autres – bien qu’ils essaient de ne pas le montrer.
Le film comprend aussi des personnages secondaires, comme le colonel alité et le domestique en chef István (István Téglás), dont les actions délibérément formelles, comme porter des plateaux de pièce en pièce, offrent au spectateur des temps de répit entre deux dialogues interminables. Le colonel et István parlent hongrois, mais Nikolai s'adresse à eux en allemand – une rapide recherche sur Google nous apprend du reste que "Malmkrog" est le nom allemand du village transylvanien de Mălâncrav.
Techniquement, le film est une prouesse, avec des décors aussi impeccables que la mise en scène, car Puiu parvient à trouver des manières de rendre son dispositif, globalement assez statique, aussi dynamique que possible. Les acteurs sont presque hallucinants pour la manière dont ils arrivent à dire ces dialogues XIXe siècle, et certains des plans très longs du directeur de la photographie Tudor Panduru parviennent même à être joueurs. Dans deux scènes où les personnages sont debout dans une pièce en train de parler, la caméra se prend parfois à en suivre un jusqu’au bord du cadre pour revenir brusquement à celui qui est en train de parler. Il y a aussi, à la moitié du film, une scène extrêmement surprenante et violente qui n'est jamais plus abordée ensuite ni expliquée, et qui semble n'avoir rien à voir avec l’intrigue – quoiqu'on pourrait voir cela comme une annonce de ce qui va arriver aux personnages vingt ans plus tard...