« L’alcool tue lentement. On s’en fout. On n’est pas pressés. » (Georges Courteline)
« L’alcool est un anesthésique qui permet de supporter l’opération de la vie. »
(Georges Bernard Shaw)
Quatre amis : Martin, Tommy, Peter et Nikolaj, tous les quatre enseignants de lycée. Qui ne pètent pas la forme, c’est le moins qu’on puisse dire, encalminés dans une existence devenue morne et routinière. Leurs élèves sont à deux doigts de les mépriser, notamment Martin (Madds Mikkelsen), professeur d’histoire tellement blasé que son cours est devenu aussi passionnant que la lecture du bottin. Tous ont par ailleurs une vie personnelle plutôt morose, entre burn out néo-parental pour l’un et assèchement de la relation conjugale pour l’autre. Bref, c’est pas la joie.
Le dîner organisé à l’occasion des quarante ans du plus jeune de la bande tourne, malgré les réticences liminaires de Martin qui est supposé faire le chauffeur, à la solide beuverie et, au détour de la conversation, est évoquée une étrange étude du psychologue norvégien Finn Skårderud, qui conclut que le corps humain, pour être au mieux de sa forme, doit présenter 0,5 g d’alcool par litre de sang. Ni une des deux, les quatre compères, saisis d’une joyeuse soif d’expérimentation scientifique, se promettent de vérifier la théorie avec un engagement : ne boire que pendant la journée, durant leur temps de travail, et s’arrêter à partir de 20h. Et inévitablement, les propriétés désinhibantes de l’alcool vont faire effet rapidement. Libéré du carcan social et de sa dépression latente, Martin se met à oser des approches pédagogiques inédites qui enchantent les lycéens. Il s’efforce en parallèle de briser la routine de son couple pour tenter de lui donner une seconde chance. L’alcool plonge les quatre amis dans une liesse sans doute factice, mais il joue pleinement son rôle émancipateur chez eux dont la jeunesse est partie voir ailleurs et qui se sont laissés enfermer peu à peu dans un quotidien qui les démoralise. La première partie du film est donc – malgré le constat social et psychologique lucide et plutôt sombre – carrément drôle, et plonge personnages et spectateurs dans un grand bain de jouvence.
Car Thomas Vinterberg fait participer le spectateur à l’apparente libération que vivent ses personnages, par le jeu des acteurs, exceptionnels, mais aussi par la mise en scène enlevée, avec un travail goûteux sur le son, nourri du glouglou délicieux de l’alcool qui coule à flots, des bouchons qui sautent, des verres qui se vident. Le spectateur est lui aussi comme enivré avant que n’arrivent les verres de trop, que le vernis s’écaille et que les lendemains de fête deviennent difficiles. Car bien au-delà d’un film potache et provocateur sur les vertus libératrices de l’alcool, Drunk est une belle évocation du tournant de la vie à la cinquantaine, entre la jeunesse à laquelle on s’accroche de manière dérisoire, les choix de vie que l’on aurait aimé faire avant qu’il ne soit trop tard, la soif de liberté que l’on doit peut-être chercher là où l’on ne l’imagine pas, comme dans cette dernière scène qui retrouve l’euphorie et dont évidemment on ne vous dévoilera rien de plus.