Les Olympiades

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Paris 13e, quartier des Olympiades. Emilie rencontre Camille qui est attiré par Nora qui elle-même croise le chemin de Amber. Trois filles et un garçon. Ils sont amis, parfois amants, souvent les deux.

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Festival de Cannes 2021 : compétition

Trois filles et un garçon

Prix du scénario pour Un héros très discret en 1996, puis grand prix du jury pour Un prophète en 2009, Jacques Audiard a aussi présenté à cannes De rouille et d’os en 2009, avant d’y obtenir la Palme d’or pour Dheepan en 2015. Il possède en outre déjà à son palmarès une dizaine de César. Les Olympiades s’attache aux chassés-croisés de trois filles et un garçon dans le quartier chinois du XIIIe arrondissement de Paris. Le réalisateur en a écrit le scénario avec le concours de deux autres réalisatrices, Léa Mysius (Ava, prix de la SACD de la Semaine de la critique 2017) et Céline Sciamma (prix du meilleur scénario et Queer Palm pour Portrait  de la jeune fille en feu en 2019), d’après cinq histoires courtes de l’auteur américain de BD Adrian Tomine. Les Olympiades a pour interprètes principaux Noémie Merlant, qui présente simultanément sa première réalisation Mi iubita, mon amour, en séance spéciale ; la chanteuse Jehnny Beth, nommée au César du meilleur espoir féminin en 2019 pour Un amour impossible de Catherine Corsini ; et Makita Samba, remarqué dans L’amant d’un jour (2017) de Philippe Garrel et Angelo (2018) de Markus Schleinzer. Le nouveau film de Jacques Audiard est éclairé par le chef opérateur de Sébastien Lifshitz, Paul Guilhaume, et mis en musique par Clément Ducol et Rone. Vendu à l’étranger par Playtime, il sortira sous l’égide de Memento Distribution le 3 novembre.

 

 

Les Olympiades, c’est un ensemble de tours impersonnelles poussé au mitant des années 70 en lieu et place de feu la gare des Gobelins et qui domine le 13e arrondissement de Paris : une représentation possible du paradoxe de la densification (on entasse les gens sur 35 étages, par paquets de 250 à 400 logements) et de l’isolement urbains. Au siècle dernier, Alain Souchon – la référence risque de ne pas dire grand chose aux spectateurs qui ont l’âge des héros du film – en avait fait une jolie chanson triste au titre programmatique et qui colle très bien au film, Ultra moderne solitude. Les tours de béton, un peu défraîchies, surplombent la vaste dalle triangulaire bordée par la rue de Tolbiac et l’avenue d’Ivry, ses commerces, ses simili-pagodes, au beau milieu du « Chinatown » de Paris. Ce petit périmètre, amoureusement filmé dans un superbe noir et blanc – très élégant, très sobre – semble être à Jacques Audiard ce que fut Manhattan pour Woody Allen. Dans ce décor unique, il déploie son petit théâtre, sensuel et cruel, drôle parfois, des jeux de l’amour, du désir et du hasard au XXIe siècle.
Émilie, étudiante précaire et délurée à Sciences Po, en questionnement communautaire, tombe malencontreusement amoureuse de Camille, son colocataire dans l’appart qui appartient encore à sa grand-mère, immigrée chinoise. Camille, prof sous-payé, sous-employé, se propose de lâcher l’Éducation Nationale pour tâter du boulot de commercial en agence immobilière et rencontre Nora. Nora qui, à la suite d’une humiliation, vient d’envoyer au diable ses études de droit (à Tolbiac) et essaie de rentrer en contact avec Amber Sweet, une « cam-girl » qui lui ressemble étrangement. Ils sont jeunes, pas vilains, ils se cherchent, se trouvent, se touchent ; ils se défont, se jalousent, se consolent, se fuient et se retrouvent… Ils sont à l’image des Olympiades, ce « quartier de mélanges » : ils viennent d’horizons sociaux, culturels, ethniques très différents, et ce n’est jamais un sujet. De jeunes adultes qui sont non pas « déclassés » comme le cinéma français aime souvent à les raconter, mais « pas encore classés ». Qui cherchent leur place dans la société, qui peinent en parallèle à s’apprivoiser et ont un rapport désorienté à des sentiments (pesants, paralysants) qu’ils s’efforcent de déconnecter de leurs relations charnelles (légères, vives, amusées). Ils sont amis, pafois amants, souvent les deux… Et on les regarde avec un bonheur pimenté tour à tour d’un peu de joie ou de tristesse, évoluer à tâtons dans les méandres de leur marivaudage moderne.
Avec ce film solaire, à mi-chemin entre la comédie sentimentale (on rit souvent, et de bon cœur) et le mélodrame, Jacques Audiard fait prendre un nouveau virage, à 180° à son cinéma. Lui offre une cure de jouvence. Le revivifie. Au diable cette fois les scénarios aux intrigues solidement ficelées, les stars de cinéma et les mises en scène millimétrées : Les Olympiades est un film en liberté, élégant mais sans affèteries, qui fait la part belle à un quarteron d’acteurs à peu près inconnus, extraordinaires de fraîcheur et de sincérité. Aux côtés de Lucie Zhang et Makita Samba, radieuses découvertes, la seule connue, Noémie Merlant (vue entre autres dans Le Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma, ici co-scénariste), est magnifique. Avec beaucoup de douceur et de générosité, le film les conduit dans l’apprivoisement du sentiment amoureux à l’ombre des tours, qui perdent de leur froideur impersonnelle au fur et à mesure que les cœurs se réchauffent. C’est une formidable réussite.