Eugénie Grandet

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Félix Grandet règne en maître dans sa modeste maison de Saumur où sa femme et sa fille Eugénie, mènent une existence sans distraction. D’une avarice extraordinaire, il ne voit pas d’un bon œil les beaux partis qui se pressent pour demander la main de sa fille. Rien ne doit entamer la fortune colossale qu’il cache à tous. L’arrivée soudaine du neveu de Grandet, un dandy parisien orphelin et ruiné, bouleverse la vie de la jeune fille. L’amour et la générosité d’Eugénie l’égard de son cousin va plonger le Père Grandet dans une rage sans limite. Confronté à sa fille, il sera plus que jamais prêt à tout sacrifier sur l’autel du profit, même sa propre famille...

Vos commentaires et critiques :

 

« Une tragédie bourgeoise sans poison, ni poignard, ni sang répandu ; mais, relativement aux acteurs, plus cruelle que tous les drames accomplis dans l’illustre famille des Atrides » (H. de Balzac, à propos d’Eugénie Grandet).

Félix Grandet est riche, très riche. Maître tonnelier, un temps maire de Saumur, il a établi sa fortune pendant la Révolution. Un peu en faisant fructifier la dot de sa femme, pas mal, sans-culotte de circonstance pendant la Révolution, en récupérant des biens, des domaines, à l’époque de la confiscation des possessions des émigrés. La Restauration venue, Grandet se fait discret en politique comme en société. Âpre au gain, tout entier consacré à conduire ses affaires et consolider ses avoirs, l’homme impose à sa famille une existence recluse et austère, qui a tous les dehors de la pauvreté. Seuls les partenaires en affaires, le notaire et le banquier, ont une idée – et encore, bien parcellaire – de sa fortune, objet de tous les fantasmes de la « bonne » société saumuroise. Suffisamment en tout cas pour ne jamais manquer de lui consacrer une soirée, le temps d’une partie de cartes en petit comité à son domicile. Car Grandet a une fille, Eugénie, qui héritera un jour des biens de son père. Et le notaire comme le banquier ont chacun un fils en âge de se marier. Il convient donc de jouer le jeu du grigou, aussi bien pour rester en affaires avec lui que pour préparer l’avenir de leur descendance.
Marc Dugain restitue particulièrement bien ces moments de cour servile et empruntée, dans le salon mal éclairé de Grandet, où l’on fait au sens propre des économies de bouts de chandelle. Les allusions perfides, les petites magouilles, la concurrence qui se veut feutrée des deux familles dans la course à la dot, les chuchotements qui se perdent dans le crépitement du feu de cheminée – rien de tout cela n’échappe au bonhomme, silencieux, matois, qui prétexte une vague surdité pour observer dans le clair-obscur le petit monde qui s’agite autour de lui, de son argent et de sa fille. L’arrivée inopinée de Charles, neveu de Grandet, jeune gandin parisien orphelin et ruiné, bouleverse les plans des uns et des autres, chamboule tout particulièrement Eugénie, qui tombe instantanément amoureuse de son cousin, tandis que le père Grandet intrigue pour lui faire quitter les lieux au plus vite.
Comme l’aurait dit à peu près le père Dumas s’il avait eu à réaliser des films, « on peut violer la littérature, à condition de lui faire de beaux enfants ». Le propos de Marc Dugain n’étant heureusement pas de livrer une illustration empesée du roman de Balzac, on lui sait plus que gré d’avoir su, en s’en éloignant, en offrant généreusement une destinée alternative à son personnage principal, d’en proposer une lecture moderne tout en en restituant l’essence. La description de la petite société étriquée de province, bien sûr, avec l’ennui, les aspirations et conspirations des notables, les petites coteries, les petits calculs… Mais surtout, il réussit à merveille le double portrait, magnifique, de l’avare maladif, sombre, violent, qu’est le père Grandet, et de la figure étonnante de l’ingénue Eugénie qui, sous l’influence de son père et sous les effets de la déception amoureuse, va insensiblement glisser de l’innocence au calcul, de la générosité à l’art d’amasser et de gérer sa fortune, pour mieux se libérer des carcans d’une société patriarcale conservatrice (c’est un euphémisme). Filou et imposant, violent et séducteur, Olivier Gourmet est un Grandet tout à la fois terrifiant et pathétique. Quant à Joséphine Japy, lumineuse même dans la pénombre, elle porte sur ses frêles épaules toute la subtilité, toutes les ambiguïtés du film, c’en est la révélation. Grâce à elle, Marc Dugain sauve Eugénie Grandet, héroïne sacrifiée par Balzac, pour en faire une icône du féminisme moderne. Et ça lui va tellement bien.