Freda

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Freda habite avec sa mère, sa sœur et son petit frère dans un quartier populaire d’Haïti. Ils survivent avec leur petite boutique de rue. Face à la précarité et la violence de leur quotidien, chacun cherche une façon de fuir cette situation. Quitte à renoncer à son propre bonheur, Freda décide de croire en l’avenir de son pays.

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La magie de certains films est de savoir raconter toute l’histoire d’un pays et d’une époque à travers quelques personnages. C’est le cas de ce très beau Freda et c’est d’autant plus remarquable que Gessica Généus est une toute jeune réalisatrice, auparavant comédienne et chanteuse, mais aussi citoyenne impliquée dans le développement de son pays. C’est ici son premier long métrage de fiction après un documentaire acclamé dans le monde entier. Un film d’autant plus nécessaire que Haïti est très peu montré au cinéma, en particulier depuis que le cinéaste national le plus reconnu, Raoul Peck – auteur entre autres du formidable L’Homme des quais en 1994 – ne tourne plus dans son pays natal. Un pays qui souffre plus que tout autre des maux les plus terribles : catastrophes naturelles – dont le terrible tremblement de terre de 2010 qui fit 300 000 morts, suivi de plusieurs récidives dont une toute récente qui a encore tué plus de 2 200 habitants – mais aussi dictatures successives et coups d’Etat. Pour raconter les déboires d’Haïti, mais aussi la vie quotidienne et les espoirs de sa jeunesse, Gessica Généus nous met dans les pas de Freda, une jeune étudiante révoltée qui veut croire encore en l’avenir de son pays et qui n’hésite pas à descendre dans la rue avec de nombreux jeunes concitoyens, même si la pratique de la démocratie directe est souvent dangereuse. Freda vit avec sa sœur Esther qui, elle, a choisi de se faire une place au soleil grâce à ses conquêtes masculines, choisies pour leur position sociale et leur entregent, avec son frère Moise qui ne voit comme perspective que l’exil au Chili, et avec sa mère Jeannette une femme très dévote qui tient une petite échoppe de rue.
À travers ces quatre personnages excellemment croqués, et formidablement incarnés par des acteurs criants de vérité, Gessica Généus parvient à nous faire approcher tous les paradoxes de Port au Prince : la violence omniprésente dans les quartiers populaires, qui chaque nuit laisse sur le carreau des victimes des bandes organisées ; la misère endémique qui impose le système D comme seule manière de s’en sortir ; la corruption généralisée qui sacrifie les fonctionnaires, régulièrement privés de salaire, tels les enseignants de Freda qui se mettent régulièrement en grève ; les contradictions d’une jeunesse qui ne sait à quel saint se vouer, entre insouciance et soif de réussite facile, incarnées par Esther, envie d’aller voir ailleurs comme pour Moise ou le fiancé de Freda qui vit en République dominicaine depuis qu’il été blessé en Haïti par une balle perdue, ou combat malgré tout, social et politique, comme celui que mène Freda, pour tenter de sauver ce qui peut l’être encore.
Gessica Généus évoque aussi les antagonismes entre la culture vaudoue encore bien présente – et souvent synonyme de rébellion face aux valeurs occidentales – et la bigoterie protestante amenée par des pasteurs de l’extérieur qui profitent de la crédulité de leurs ouailles pour vivre dans le luxe. Sans compter les discussions passionnantes, lors des cours de Freda, sur l’importance de la langue créole face au français, ou de l’utilité de la non violence dans le contexte de l’île.
On découvre avec un intérêt constant cette jeunesse et tous ses questionnements, on s’attache très fort à Freda et à sa formidable actrice Néhémie Bastien, jusqu’à une scène finale sublime d’émotion.