As bestas

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Antoine et Olga, un couple de français, sont installés depuis longtemps dans un petit village de Galice. Ils pratiquent une agriculture écoresponsable et restaurent des maisons abandonnées pour faciliter le repeuplement. Tout devrait être idyllique sans leur opposition à un projet d’éolienne qui crée un grave conflit avec leurs voisins. La tension va monter jusqu’à l’irréparable.

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La Galice jusqu'à l'hallali

Rodrigo Sorogoyen a acquis en l’espace de quelques années une réputation enviable au sein du cinéma espagnol, européen et désormais mondial. Révélé par son premier film, 8 citas (2008), qu’il signe avec Peris Romano, il accomplit ses premières armes sur plusieurs séries à succès sous le nom de Ruy Sorogoyen, puis revient au grand écran avec Stockholm (2013) qu’il coréalise avec Borja Soler. C’est son premier long métrage en solo, Que dios nos perdone, qui l’impose en décrochant le prix du jury du scénario à San Sebastián en 2016. Suivent El reino (2018), couronné de sept Goyas, puis Madre (2019), dont il s’agit de la version longue de son film homonyme de 2016 qui a obtenu une nomination à l’Oscar du meilleur court métrage trois ans plus tard. Il a écrit le scénario d’As bestas avec sa complice habituelle, Isabel Peña. Dans le film, un coulpe français établi de longue date en Galice se trouve confronté à l’hostilité grandissante de la population locale qui considère d’un très mauvais œil  leur opposition à un projet d’éoliennes. Cette coproduction entre Arcadia Motion Pictures, Caballo Films, Le Pacte, Movistar+ et Canal+, avec le soutien de l’Icaa et d’Eurimages, sera distribuée en France par Le Pacte le 20 juillet prochain et est vendue à l’international par Latido Films.

 

 

Cet incroyable thriller, haletant, tendu comme l’arc d’un maître du kyudo (discipline traditionnelle japonaise), confirme le talent éclatant de Rodrigo Sorogoyen, réalisateur espagnol qui s’offre avec ce nouvel opus une passe de trois impressionnante, puisque As Bestas vient après les formidables El Reino (2018) et Madre (2020) – déjà co-écrits avec Isabel Peña –, programmés et ardemment défendus dans nos salles. Autre confirmation d’importance, celle de l’acteur français Denis Ménochet, qui nous a durablement marqués avec ses rôles diamétralement opposés dans Jusqu’à la garde (2017) de Xavier Legrand et Grâce à Dieu (2018) de François Ozon, et que vous pourrez voir également sur cette gazette dans le Peter von Kant du même Ozon, pour lequel il incarne cette fois l’alter ego fictif de Rainer Werner Fassbinder. C’est l’été Ménochet !
Il est ici Antoine, un quinquagénaire français qui, avec son épouse Olga, a décidé depuis un bout de temps et au hasard de ses pérégrinations de s’installer dans une ferme de Galice, cette région pauvre et isolée du Nord Est de l’Espagne, afin d’y pratiquer une agriculture responsable tout en retapant des bâtiments abandonnés et contribuer ainsi à l’éventuel repeuplement du village, victime comme tant d’autres de l’exode rural. On pourrait penser que le couple a été accueilli à bras ouverts et s’est bien intégré dans cet endroit qui a besoin de trouver un nouveau souffle, un nouveau dynamisme, mais la réalité est plus sombre : une méfiance naturelle d’une partie des locaux vis-à-vis des étrangers a créé un antagonisme délétère et un conflit d’intérêts divergents va faire déraper la situation. Antoine et Olga s’opposent à l’installation d’éoliennes qui permettraient une rentrée d’argent conséquente pour tous les habitants du village. Entre le gain immédiat pour des gens qui ont toujours vécu très chichement et le respect des paysages prôné par deux Français qui croient avoir trouvé ici leur paradis sur terre, deux logiques irréconciliables vont s’affronter. Tout spécialement entre le couple et deux frères souvent violents et alcoolisés, les inquiétants Xan et Lorenzo. Peu à peu, aux réflexions ironiques mais inoffensives à l’unique café du village vont succéder les insultes et les menaces, puis les sabotages, puis les agressions… dans une tension qui va graduellement s’installer.
Sorogoyen orchestre avec une maîtrise confondante la montée de l’inquiétude, qui vire à la terreur au fil de la vindicte de plus en plus explicite des autochtones – aux États-Unis, on dirait les Rednecks. Mais Sorogoyen se garde bien de condamner sans appel ces paysans oubliés de la modernité, qui vivent misérablement sur quelques hectares de terre hostile et qui voient dans la manne financière – à leur échelle en tout cas, c’est bien une manne – que leur offre l’installation des éoliennes un moyen d’améliorer leur pauvre quotidien. Leurs motivations profondes sont respectées, ainsi que leur opposition viscérale à ces voisins étrangers qui risquent de les priver de cet argent au nom de leurs principes. Même si évidemment la haine et la violence ne sont jamais cautionnées – elles sont même montrées dans toute leur bassesse.
On sent chez le réalisateur une fascination pour ce monde rural qui n’a pas bougé durant des décennies, comme dans cette puissante scène d’introduction montrant des « aloitadores » dressant des chevaux à la manière ancestrale, luttant avec eux, les immobilisant jusqu’à ce que l’animal accepte docilement que sa crinière soit taillée.
Dans ce film de confrontation et d’obstination, Denis Ménochet livre une performance exceptionnelle, tout en force marmoréenne inflexible et en colère rentrée. Dans la deuxième partie qu’on ne vous dévoilera surtout pas, c’est au tour de Marina Foïs, remarquable elle aussi, d’incarner sans violence une détermination froide et implacable.