Plumes

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Une mère passive, dévouée corps et âme à son mari et ses enfants. Un simple tour de magie tourne mal pendant l'anniversaire de son fils et c’est une avalanche de catastrophes absurdes et improbables qui s’abat sur la famille. Le magicien transforme son mari, un père autoritaire, en poule. La mère n’a d’autre choix que de sortir de sa réserve et assumer le rôle de cheffe de famille.

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Semaine de la Critique – Cannes 2021

Naturalisme magique

“Incroyable film que ce premier long métrage égyptien Feathers d’Omar El Zohairy. Une mise en scène d’une audace folle, pour un sujet tout aussi fantasque, au point de rendre l’impossible évident.” Ces quelques mots de Charles Tesson résument à la perfection l’esprit de ce film d’Omar El Zohairy, qui a notamment appris son métier en travaillant au côté de Yousri Nasrallah. “Dans mon court métrage précédent, j’avais exploré l’univers de l’humour noir. Cela m’a donné envie d’aller encore plus loin. Je dirais que Feathers a plus à voir avec un certain sens de l’absurde, voire de la comédie loufoque”, raconte le cinéaste. Il a rencontré Juliette Lepoutre et Pierre Menahem, les fondateurs de Still Moving, par le biais de la résidence de la Cinéfondation. En Égypte, c’est l’incontournable Mohamed Hefzy qui l’a accompagné. “Nous nous connaissions puisque j’ai travaillé comme assistant réalisateur sur deux films qu’il a produits. Mais il s’est montré vraiment intéressé dès le début par l’idée de mon scénario. J’ai ressenti de sa part la même appréciation et le même respect que Juliette et Pierre. Pour moi, Hefzy est aujourd’hui un leader du cinéma égyptien. Il s’investit énormément dans la production et la promotion de notre cinéma à travers le monde entier. Avoir un producteur comme lui en Égypte, avec cette vision et ce dévouement envers le cinéma art et essai, est d’un soutien inestimable.” Le tournage du film a débuté au Caire en octobre 2020, sa postproduction ayant été achevée en mai 2021.

 

 

« Paroles, Paroles, Paroles… » chantait Dalida, tout aussi égyptienne que cet étonnant petit film. Pour réellement l’apprécier, il faut lâcher prise, accepter de se laisser dérouter par les fausses invraisemblances maîtrisées avec lesquelles le réalisateur nous balade de croyances en délires, à bas bruit. « Paroles, Paroles… » c’est ce que pourrait rétorquer en permanence notre héroïne, une mère courage dont on ne saura même pas le nom, à son gentil mari qui cause bien plus qu’il ne semble agir. Quand l’homme parle à ses enfants, c’est pour promettre monts et merveilles : un jour, vous verrez, nous aurons ceci, et puis cela, bla bla bla ! La mère écoute, sans mot dire ni maudire, apparemment résignée, se doutant que les seules richesses qui parviendront dans la maison seront celles virtuelles de la télévision. Et quand l’homme parle à sa femme, il va à l’essentiel : « ce soir je veux manger des aubergines », « demain, je ne veux pas de désordre »… Toujours la mère obtempère, sans commentaire, le regard absent. Seul un frémissement de sourcil rappelle parfois qu’elle n’est pas sourde, ni insensible. C’est simplement une femme qui un jour s’est tue. À quoi bon prononcer des mots s’ils n’ont aucun poids ? Flanquée de ses trois gosses, dont le petit dernier en bas-âge, elle a bien d’autres choses à faire que parler, dans cet appartement qui suinte la crasse et la misère et mériterait bien quelques travaux de réfection qui ne semblent jamais devoir arriver.
Arrive l’anniversaire d’un des fistons… Et là, pas d’hésitation, alors que les loyers impayés s’accumulent, le père arrive chargé d’un gros paquet. Ballons et guirlandes envahissent la maison ainsi qu’une ribambelle d’invités qui s’appellent tous entre eux tata, tonton, cousin, cousine, voisin, voisine, patron (jamais patronne)… à la manière orientale. Et de manière un peu folle, dans le minuscule appartement, on a même réussi à faire rentrer un musicien, deux magiciens, pour un budget qui dépasse évidemment les moyens de la famille… Mais que voulez-vous… On n’a pas tous les jours quatre ans ! Alors on danse. Enfin ce sont les hommes qui dansent, et un peu les petites filles… Les femmes, qu’on semble avoir posé dans un coin, bavardent discrètement, la mère sert machinalement son monde. Autour d’elles c’est la liesse, on claque des mains… Puis débutent les tours de magie on ne peut plus classiques, sans strass ni paillettes. Abracadabra, des chiffons un peu miteux apparaissent… et puis c’est le moment crucial : le coup de la caisse magique ! Le mari est l’heureux élu qui rentre dans la caisse en bois de palettes. Il disparaît comme il se doit. Et à sa place, c’est une poule qui apparaît triomphalement ! Hilarité générale… Jusque-là… tout va bien ! Il ne reste plus qu’à faire disparaître la caquetante bestiole et à faire réapparaître le coq humain qui règne sur la maisonnée… Sauf que…
C’est une Égypte loin des clichés touristiques qui est dépeinte sans concession, une société dans laquelle il faut un sacré courage pour surnager au quotidien quand on est une femme : affronter les portes qui se ferment systématiquement, le manque d’écoute, si on n’a pas l’aval et la signature d’un homme. La mère va tomber de Charybde en Scylla, sans avoir l’air de s’étonner que le ciel puisse s’abattre sur sa tête, traçant avec ténacité sa route sans jamais presser l’allure, telle une tortue sagace. On la découvrira comme on ne l’imaginait pas : gardant toujours la tête froide et haute, malgré ses yeux baissés. Héroïne de l’ombre à sa manière et sans orgueil…