Plan 75

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Au Japon, dans un futur proche, le vieillissement de la population s’accélère. Le gouvernement estime qu'à partir d’un certain âge, les seniors deviennent une charge inutile pour la société et met en place le « Plan 75 ». Ce programme propose aux plus de 75 ans un accompagnement logistique et financier pour mettre fin à leurs jours. Une candidate au plan 75, Michi, un recruteur du gouvernement, Hiromu, et une jeune aide-soignante philippine, Maria, se retrouvent confrontés à un pacte mortifère

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Cannes 2022 : un certain regard

Constat clinique

Dans un Japon où le vieillissement alarmant de la société conduit une part grandissante de ses aînés à la précarité, les autorités promulguent une nouvelle loi qui encadre financièrement et logistiquement l’euthanasie des citoyens de plus de 75 ans. Un choix cornélien qui provoque des remous parmi la population, qu’il s’agisse des volontaires ou du personnel médical. Cette étude psychologique s’appuie sur un état de fait sociologique avéré pour en tirer une réflexion plus vaste sur le prix de la longévité dans un monde atteint de jeunisme, dont les aînés semblent condamnés à des retraites qui fondent comme peau de chagrin. Plan 75 est une coproduction japono-française entre Loaded Films et Urban Factory, mise en scène par Chie Hayakawa en développant le sujet du court métrage homonyme qu’elle avait tourné dans le cadre du film à sketches Anticipation Japon (2018) dont les cinq réalisateurs avaient pour cahier des charges d’imaginer le pays à dix ans de distance. Cette réalisatrice de 45 ans sélectionnée par la Cinéfondation au Festival de Cannes 2014 avec son court métrage Niagara en a également signé un autre avec Fuyu no Mei (2016), ainsi que des spots de pub er des clips musicaux.

 

 

Au début du magnifique La Ballade de Nayarama de Shohei Imamura, qui se déroule dans le Japon rural du xixe siècle, une vieille dame se brise volontairement les dents sur la margelle d’un puits. Bien que septuagénaire, elle est en parfaite santé et son fils se refuse à ce qu’elle se résigne à l’« ubasute », cette pratique qui veut que les personnes âgées, une fois qu’elles ont « fait leur temps », se retirent dans la montagne pour s’y laisser mourir. Par son geste, la mère veut que sa famille accepte enfin l’inéluctable…
Un bon siècle plus tard, la situation des personnes âgées au Japon a bien changé. Les liens familiaux, dans un monde ultralibéral où prime l’efficacité économique, se sont distendus au point que les anciens sont souvent ignorés et délaissés par leurs proches. Leur précarité les pousse souvent à accepter des boulots qui peuvent être pénibles et ils doivent affronter la solitude et la pression sociale qui leur renvoie implicitement au visage leur inutilité dans une société qui fait partie des plus vieillissantes au monde, et où commence à peser le poids financier du grand âge. La jeune réalisatrice Chie Hayakawa s’est inspirée de cette situation pour penser un film d’anticipation puissant parce qu’extrêmement réaliste et habité par plusieurs personnages remarquablement écrits et interprétés. Elle réalisa d’abord un court métrage produit par le grand Kore Eda, avant de se lancer dans ce long métrage très bien accueilli lors du récent Festival de Cannes.
Dans un futur proche, le Plan 75 du titre désigne une campagne menée par le gouvernement du Japon qui offre à des retraités de plus de 75 ans plus ou moins désargentés, voire carrément dans la misère, la possibilité de recevoir un petit pactole en échange d’un « doux » accompagnement vers l’euthanasie. On va donc suivre d’un côté Michi, une vieille femme qui ne parvient plus à surmonter ses difficultés de logement, ainsi que Yukio, un vieil homme à l’esprit qui vacille – ils ont tous deux accepté de rentrer dans le dispositif – et de l’autre côté, en parallèle, Hiromu et Yoko, deux jeunes employés du Plan 75, chargés d’accompagner les candidats et surtout d’éviter qu’ils ne renoncent en cours de route, mais aussi Maria, une aide de vie philippine.
La force du film est de décrire avec une précision saisissante les impitoyables mécanismes mis en œuvre – avec une fausse douceur particulièrement glaçante – pour convaincre les retraités de signer le contrat mortifère, avec entre autres ces soupes populaires organisées par le Plan 75 pour recruter des SDF âgés, doublement inutiles aux yeux de la société productiviste. Mais le film montre face à cela l’humanité de chacun qui peut se réveiller : c’est le cas des liens qui se tissent entre les femmes âgées dans les superbes scènes d’atelier de chant, de l’attachement que vont ressentir les jeunes supplétifs de l’euthanasie industrialisée (qui rappelle forcément le génial Soleil vert de Richard Fleischer) envers les candidats qu’ils accompagnent, ou encore de la générosité dont font preuve les membres d’une communauté catholique envers la jeune aidante philippine. Autant de comportements et d’engagements qui tranchent avec la solitude et l’individualisme de la société japonaise moderne.
Chie Hayakawa signe ainsi un premier film fort, à la fois fable politique et chronique humaniste bouleversante, servie notamment par la grande actrice japonaise Chieko Baishō.