First Cow

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Au début du XIXe siècle, sur les terres encore sauvages de l’Oregon, Cookie Figowitz, un humble cuisinier, se lie d’amitié avec King-Lu, un immigrant d’origine chinoise. Rêvant tous deux d’une vie meilleure, ils montent un modeste commerce de beignets qui ne tarde pas à faire fureur auprès des pionniers de l’Ouest, en proie au mal du pays. Le succès de leur recette tient à un ingrédient secret : le lait qu’ils tirent clandestinement chaque nuit de la première vache introduite en Amérique, propriété exclusive d’un notable des environs.

Vos commentaires et critiques :

 

« À l’oiseau le nid, à l’araignée la toile, à l’homme l’amitié. »
William Blake, Proverbes de l’enfer

On entre étonnamment dans cet enthousiasmant First cow par des images contemporaines, qui montrent une promeneuse arpentant avec son chien les rives du fleuve Columbia tandis qu’une énorme barge le remonte. On ne vous dévoilera pas la fin de la balade et on préfère vous projeter quelques séquences plus tard mais 200 ans plus tôt, au cœur de notre récit et des forêts, à l’époque fort inhospitalières, de l’Oregon, état du Nord-Ouest américain, à la frontière canadienne – région chère depuis toujours au cœur de la réalisatrice Kelly Reichardt. On s’attache à Cookie Figowitz, qui est le cuisinier en même temps que le souffre-douleur d’une bande de trappeurs pour lesquels pourtant il se démène, glanant quelques champignons afin de leur préparer un repas à leur goût, du moins il l’espère. Cookie n’est pas franchement le cow-boy de légende tel qu’on se l’imagine, tel que les grands westerns triomphalistes l’ont statufié, toujours prêt à affronter Indiens et malfrats, à sauver des belles en péril, capable de tirer tout en chevauchant à bride abattue à travers les plaines immenses. Cookie est juste un de ces innombrables pionniers qui ne prétendent surtout pas avoir l’étoffe des héros, qui ont juste fui la misère en Europe pour rejoindre le Grand Ouest américain dans l’espoir d’un avenir meilleur.
Dans ses pérégrinations forestières autant que nocturnes, Cookie tombe sur un Chinois nu, King Lu, qui fuit une bande d’assassins russes après avoir réussi à tuer l’un d’entre eux. Entre les deux hommes va se nouer une indéfectible amitié, comme il n’en naît qu’entre les outsiders qui n’ont d’autre choix que la solidarité. Ils décident tous deux de s’installer dans la petite ville la plus proche et de tenter de s’y faire une place. Quand on dit « ville », c’est un bien grand mot : à cette période qui correspond aux débuts de la conquête de l’Ouest, les rares pionniers vivent dans des cabanes de guingois, faites de rondins et autres matériaux de récup, et pataugent les trois-quart du temps dans la boue, manquant de tout, se faisant une joie du moindre petit plus qui vient améliorer l’ordinaire. Et justement Cookie a un talent qui vaut de l’or : il fut un temps pâtissier, et ses petits gâteaux vont faire le bonheur des rudes gars du coin. Et quand les deux amis apprennent que le notable du bourg, qui se fait fort de maintenir dans sa demeure un semblant – assez ridicule – de standing britannique, est l’heureux propriétaire de la toute première vache introduite en Amérique, ils vont se dire que s’ils parviennent à lui chiper chaque jour un peu de lait, les gâteaux seront bien meilleurs et se vendront mieux et plus cher…
À partir d’une intrigue minimaliste qui s’avère pourtant trépidante, la grande Kelly Reichardt, déjà réalisatrice en 2010 d’un premier western singulier et magnifique, La Dernière piste, nous plonge au cœur du mythe américain par excellence, celui qui retrace le parcours et le destin des pionniers des origines. Elle montre superbement leur vie quotidienne, leur solidarité, leurs liens très forts grâce auxquels ils renversent… on ne dira pas des montagnes, ils n’en ont pas l’ambition, mais des collines, des talus, des buttes… c’est déjà beaucoup. Elle décrit bien aussi ce monde d’avant le génocide indien, quand les nouveaux arrivants devaient négocier avec les autochtones, ne serait-ce que pour assurer leur survie. Comme dans La Dernière piste, Kelly Reichardt délaisse le cinémascope, l’image large généralement – et paresseusement – associée au western, et choisit le format standard proche du carré, qui serre au plus près les personnages, nous les rend plus proches. Ce qui ne l’empêche nullement de magnifier une nature grandiose et encore inviolée, avant que les paysages de l’Ouest ne soient transformés en immenses corrals à chevaux ou en réserves géantes de biftecks sur pattes – à cet égard, le caractère unique de la vache qui donne son titre au film est particulièrement symbolique. On devine en toile de fond la naissance du capitalisme sur lequel se construira l’Amérique tout en détruisant la nature et une partie de ses habitants, et cette humble histoire d’amitié, de vache et de gâteaux nous éblouit, lumineuse et poétique.