Heimat - Chronique d'un rêve / L'Exode

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1842-1844, L'histoire de la famille Simon. Johann le père forgeron, Margret la mère, Lena la fille ainée, Gustav et Jakob les fils, Jettchen et Florinchen leurs futures épouses. Les coups du destin risquent de détruire cette famille mais c'est une histoire de courage et de foi en l'avenir. Des dizaines de milliers d'Allemands, accablés par les famines, la pauvreté et l'arbitraire des gouvernants, émigrent en Amérique du Sud. 'Un sort meilleur que la mort, ça peut se trouver partout'. Jakob Simon le cadet, lit tous les livres qu'il peut se procurer, il étudie les langues des Indiens d'Amazonie. Il rêve d'un monde meilleur, d'aventure, de dépaysement et de liberté. Il décide d'émigrer. Le retour de son frère Gustav du service militaire dans l'armée prussienne déclenche une série d'évènements qui met à rude épreuve l'amour de Jakob et bouleverse son existence.
Heimat 1 - Chronique d'un rêve: durée 107mn
Heimat 2 - L'exode: durée 130mn

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Heimat nouvel opus

Dès les premières images de ce dyptique splendide qui nous plonge dans l’Allemagne rurale du milieu du XIXe siècle, ce qui frappe, qui subjugue, ce qui vous irradie les mirettes, c’est ce noir et blanc hors du temps (d’autant plus beau qu’il est ponctué de fugaces touches de couleur, l’or d’un louis, le bleu des fleurs de lin…) et cette image parfaitement composée que l’on croirait avoir été créée par Millet ou Courbet… Probablement parce que ça fait plusieurs décennies que nous ne sommes plus habitués à voir ce type de cinéma proche du réalisme poétique d’un Grémillon ou d’un Renoir, ou du néoréalisme d’un Rossellini, alors que nous sommes abreuvés d’images à l’esthétique pauvre dans un cinéma qui, à force de privilégier le récit, a oublié que le langage cinématographique se devait de passer avant tout par l’image.

Pour les plus anciens cinéphiles d’entre vous, le titre éveillera peut-être le souvenir d’une trilogie fleuve réalisée sur 20 ans, de 1984 à 2004 (une cinquantaine d’heures au total, vues essentiellement, découpées en mini-séries, à la télévision), qui plongeait le spectateur dans le quotidien de Schabbach, une petite ville de Rhénanie, de 1919 à la Chute du Mur : entre fiction et documentaire, la saga décrivait splendidement toute l’histoire d’un pays à travers le destin de quelques personnages ordinaires. Le grand œuvre d’une vie pour le réalisateur Edgar Reitz.

N’ayant en rien renoncé à sa monomanie, ce qui est le propre de nombre de génies, Reitz nous emmène de nouveau à Schabbach mais cette fois-ci un siècle plus tôt, dans les années 1840, alors que la région est sous domination prussienne après la défaite de Napoléon deux décennies auparavant. On y découvre la famille Simon, des paysans/artisans comme il y en a beaucoup, la double activité étant indispensable pour survivre : Johann le père forgeron, la mère Margret, de santé fragile, les deux fils que tout oppose – Gustav le grand gaillard de retour de l’armée, et le rêveur Jacob qui ne songe qu’à ses lectures de voyage aux Amériques – Léna, la fille en rupture depuis qu’elle a épousé à quelques kilomètres de là un vigneron catholique. A travers le quotidien âpre de cette famille et ses conflits, Reitz décrit de manière saisissante la dureté et la fragilité de cette vie rythmée par les mauvaises récoltes, les disettes, la maladie qui s’abat l’hiver sur les plus jeunes enfants, la mortalité infantile atteignant des chiffres inimaginables (une des scènes les plus impressionnantes est celle des petits cercueils qui sortent à l’aube des maisons après une nuit terrible où la typhoïde a décimé les nourrissons), l’oppression de la féodalité qui a encore tous les droits sur les paysans subissant encore le servage.

Reitz, qui n’a pas choisi cette période au hasard, évoque à travers ces quelques personnages un peuple qui s’éveille à la modernité et à la liberté. Un peuple qui, au contact de l’envahisseur napoléonien, a été irrigué par les idéaux révolutionnaires, un peuple qui commence de plus en plus à savoir lire et à aspirer donc à un ailleurs au-delà de son canton du Hunsrück, à l’image de Jacob qui apprend les différents dialectes des Indiens d’Amérique du Sud au point d’entamer une correspondance avec le grand naturaliste Alexander von Humboldt. Et dans l’espoir de trouver une vie meilleure, beaucoup décident d’émigrer, essentiellement vers le Brésil, grand demandeur d’artisans qualifiés.

Une émigration porteuse d’espoir donc, mais aussi de déchirement, de séparation définitive… Une émigration bien plus que symbolique quand on pense que l’Allemagne devenue prospère n’aura de cesse de discriminer par la suite ses immigrés venus d’ailleurs et de manière générale ceux qui sont différents. Et ainsi on réalise qu’avec ce prélude, Reitz boucle magnifiquement cette histoire allemande complexe et tragique dont il a entamé le récit il y a bientôt trente ans.