Les Gens du Monde

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Alors que la presse doit faire face aux grands bouleversements que représente l'arrivée des blogs, tweets et autres révolutions du web, ce film propose une plongée au cœur du travail des journalistes du service politique du Monde, lors de la campagne électorale de 2012. Dans la rédaction comme sur le terrain, nous assistons ainsi aux débats qui traversent le grand quotidien du soir qui s'apprête à fêter ses 70 ans. Spectateurs privilégiés des oppositions et des tensions de la rédaction, nous partageons aussi l'enthousiasme et les fous rires des journalistes, la fatigue et les doutes, le quotidien du quotidien.

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Le journal « Le Monde » a 70 ans, et son évolution, tourneboulée par une mutation sans précédent des médias sous l'influence grandissante d'Internet et des comportements des lecteurs qui en découlent, élargit la perspective du microcosme d'un journal en train de se faire à celui de l'évolution de la société tout entière et de son rapport à l'information. Yves Jeuland choisit de s'immerger au cœur de l'équipe de rédaction du Monde dans un moment de tension, au plus fort des pressions et des débats autour de la campagne électorale de 2012.

En faisant le choix de se passer de techniciens, en filmant seul les réunions de rédaction, Jeuland réussit à ce que tous finissent par oublier sa présence, tandis que les passions s'exacerbent, que la diversité des positions de chacun s'affirme, que la fatigue s'accumule… Constamment sur la brèche, il a vraiment le chic pour capter ces moments où les personnalités se révèlent, d'autant plus librement que certains des protagonistes ont une vision plutôt positive d'eux-mêmes et ne se doutent pas que l'image qu'ils projettent aux spectateurs que nous sommes n'est pas tout à fait celle qu'ils pensaient donner. Sous ses airs feutrés d'un journal en train de se faire, où chacun se concentre sur son boulot ou échange en sourdine, l'image qui nous revient est assez terrible, et parfois même d'un cynisme saisissant : témoin le débat sur la première page où le parallèle racoleur « Le Pen/ Mélanchon » ne semble pas interpeller le plus grand nombre tandis que le chef de rédaction revendique : « j'aime les titres qui pètent »…

Il y a Didier Pourquery, le directeur adjoint de rédaction qui écoute mais tranche, il y a ceux qui travaillent seuls dans leur coin, ceux qui n'ont pas voulu répondre, ceux qui travaillent en tandem, en particulier les deux qui n'ont pas lâché Hollande de toute la campagne, il y a Arnaud Leparmentier, atypique, libéral affirmé qui assume avec gourmandise sa posture de journaliste de droite dans un journal (dit) de gauche… Il y a Caroline Monnot qui ne cache pas ses sympathies pour la gauche radicale et trouve fort de café les amalgames trop simplistes de directeurs dont on sent bien qu'ils pensent qu'il faut cogner pour vendre et se positionner face aux autres médias… Et les questionnements s'enchaînent : le journal doit-il prendre parti pour un candidat ? Comment survivre à la crise de la presse quotidienne ? Quelle stratégie vis-à vis d'Internet ? Quelqu'un évoque le fait qu'ils viennent tous des mêmes écoles, et de fait, comme chez les hommes politiques, on perçoit la « consanguinité »… Florence Aubenas émerge avec sa proposition d'ouverture, de chouette fille qui n'a pas renoncé à apporter sa part dans l'évolution des choses… « L'hypocrisie, c'est le sport favori du journal » dit quelqu'un… Tout au long du film, à plusieurs reprise, un homme noir passe discrètement d'un bureau à l'autre pour vider les poubelles, visiblement habitué à ne pas être vu.

Les journalistes sont tellement dans leur « jus » qu'ils ne se rendent même plus compte, mais le film donne, sans le vouloir sans doute, des raisons à l'éloignement progressif des lecteurs : à coup d'éditos à l'emporte-pièce, de numéros week-ends lourds de publicités débilitantes, de concessions, de raccourcis… Le positif, c'est qu'il apparaît que c'est un groupe divers qui fonctionne malgré tout relativement démocratiquement, et que plusieurs arrivent à garder une forme de « pureté », « d'indépendance d'esprit », de « conscience professionnelle », vestiges d'une culture d'entreprise pas encore complètement sapée par les ambitions et les pressions. Les ambiguïtés sont aussi le côté humain de l'entreprise, et on mesure bien les difficultés à faire un journal qui ne soit pas replié sur un microcosme parisien, déconnecté des réalités, à l'instar des hommes politiques avec qui la connivence est parfois un peu trop évidente. Même sérail, même vision, même arrogance… même complaisance entre gens du même monde, terrible de lire plusieurs canards régulièrement et de retrouver les mêmes mots, les mêmes premières pages… Elle a raison, Florence : le salut leur viendra de l'ouverture et de la diversité…