Winter Sleep

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Aydin, comédien à la retraite, tient un petit hôtel en Anatolie centrale avec sa jeune épouse Nihal, dont il s'est éloigné sentimentalement, et sa soeur Necla qui souffre encore de son récent divorce. En hiver, à mesure que la neige recouvre la steppe, l'hôtel devient leur refuge mais aussi le théâtre de leurs déchirements...

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SPÉCIAL CANNES

Parmi tous les prix distribués à Cannes cette année s’il y en a bien un qui mérite la consécration c’est bien le film magnifique de Nuri Bilge Ceylan WINTER SLEEP et on ne remerciera jamais assez Jane Campion et son jury

Ce film fleuve inoubliable se lit, se découvre comme un roman. C'est un essai sur la dépendance et le dégoût de l'autre, et par là même la perte de soi… Le héros, Aydin, est un vieux comédien, retiré en Anatolie dans sa demeure devenue hôtel, entre sa jeune épouse Nihal et une sœur encore dans les affres d'un divorce douloureux. ll va découvrir peu à peu mais crûment, lui si suffisant, quel homme cynique, insensible et détestable il peut être aux yeux des seuls êtres qui l'accompagnent encore.

Ce film, comme les précédents de Nuri Bilge Ceylan – le magnifique Les Climats pour ne citer que lui – nous peint ces figures de personnages pourtant cultivés, perdus dans une Turquie aussi reculée que contemporaine, incapables de se réaliser vraiment, touchant du doigt un bonheur posé juste là mais devenu inaccessible. On se parle trop, on ne s'entend pas. Son cinéma, souvent décrit comme lent contemplatif, est ici étonnamment volubile – c'était déjà le cas dans Il était une fois en Anatolie. Le couple se déchire dans de longues tirades. La neige tombe dehors comme sur leurs printemps décidément terminés. Et se joue devant nous le conflit des générations et l'insupportabilité de la différence, au-delà de toute expression, des relations intimes en huit clos, étouffantes comme peuvent l'être nos propres aveuglements une fois révélés.

On oubliera la longueur du film, comme pour un roman chéri, dans notre horizon d'attente, connaître la fin prend des allures d'impératif. Et oui, on finit par avoir le cadeau, le sésame qui nous ouvre les portes de l'écriture si maîtrisée de cette œuvre majuscule. Le rythme s'impose à notre rythme cardiaque…

On reconnaîtra dans la narration l'écriture d'un Anton Tchekhov, ou d'un Bergman dont Ceylan dit s'inspirer. Rien ne relève du mimétisme ni de l'artifice, dans la forme et le propos, le sujet est approfondi et rigoureusement pensé. Le cinéaste le revendique : « il n'y a rien a l'écran que je ne puisse justifier. Je peux expliquer les comportements et les paroles de chaque personnage. »

Winter sleep est évidemment d'une impressionnante force visuelle. La photographie est magnifique, la composition des plans d'une rare maîtrise et le jeu des lumières envoûtant, que n'aurait pas renié un Georges De la Tour, rend ses comédiens beaux comme des statues. La dichotomie entre la chaleur lourde des intérieurs et le froid des cœurs et du climat est bien sûr frappante.

Au-delà de l'intime, le clivage est aussi social : impossible de se rencontrer vraiment, mais en a-t ‘on encore envie ? Nous nous rappellerons longtemps cette scène terrible, où un père miséreux ne parvient pas à accepter l'aide financière de Nihal, ces deux êtres n'étant pas armés pour s'entraider. Efforts vains, qui finissent par s'envoler en fumée… On appréciera, au-delà du regard brillant de l'artiste sur son pays et ses hiatus, le compatriote dédiant son film à la jeunesse turque, et arborant à sa poitrine, pour la montée des marches à Cannes, un nœud noir, symbole de deuil pour ces mineurs turcs récemment disparus, victimes d'un monde qui préfère la productivité à la sécurité de ses enfants.