Luzzu

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Depuis des générations, la famille de Jesmark pêche sur le Luzzu, un petit bateau traditionnel maltais. Pour subvenir aux besoins de sa famille, Jesmark prend la décision de se tourner vers le marché noir.

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Au large de l’archipel maltais, sur l’étendue bleue d’une mer épurée, Jesmark lance ses filets. La frêle embarcation aux couleurs joyeuses qui le porte sur les flots semble observer le monde de ses yeux phéniciens. Ici chaque luzzu (c’est le nom de ces jolis bateaux de pêche traditionnels) possède une personnalité propre et, gravé sur sa proue, son propre regard expressif censé protéger son maigre équipage des tempêtes du monde et favoriser les prises miraculeuses. Mais le poisson désormais ne mord plus dans ces eaux ratissées jusqu’à l’épuisement par de gros chalutiers industriels. L’appât du gain voudrait que Jesmark fasse comme tant d’autres, qu’il baisse ses bras musclés, renonce à ses droits, à cette vie maritime peu lucrative, vende tout son matériel contre un défraiement de la CEE qui incite les pêcheurs artisanaux à cesser leur activité. Quelle alternative ? L’allure burinée et fière, la carrure de ceux habitués à lutter contre les éléments, notre beau brun n’est pourtant pas prêt à le faire. Son luzzu, plus qu’un moyen d’assurer sa subsistance, c’est un mode de vie autonome et libre, qui vaut presque autant que la prunelle de ses yeux, celle de la tradition perpétuée par ses ancêtres. Alors, coûte que coûte, puisque son luzzu prend un peu l’eau, il lui faudra trouver le bois nécessaire pour le réparer, le confier à ceux qui savent encore le faire avec une tendre passion taiseuse. C’est une véritable fraternité marine, une noblesse sans richesse, probablement en voie de disparition, qui godille en marge de la société de consommation toujours plus vorace. Les règles édictées semblent tellement contraires aux plus élémentaire bon sens. Une noire colère impuissante envahit le cœur des hommes, notre marin devient sombre quand il entrevoit les pratiques parallèles illicites qui fourmillent, refusant de s’y plier jusqu’au jour où…
Il faut comprendre que Jesmark est un brave père, qu’il aime tendrement sa compagne Denise, cette femme aux yeux de braise et à l’allure altière qui le toise parfois avec un air de reproches attisés par une belle-mère qui n’aime guère son gendre. Alors que faire quand la pédiatre annonce que leur nouveau né ne grandit pas normalement ? Il faudrait au marmot un lait plus riche, une attention redoublée, tout ce qu’offre l’argent. Seulement l’argent. Un argent que Jesmark ne parvient plus à faire rentrer dans les caisses du ménage malgré son ardeur au labeur et son grand courage…
Des trois personnages principaux, seule Denise est jouée par une comédienne professionnelle (Michele Farrugia). Pourtant tous crèvent l’écran et ce n’est pas rien que ce soit Jesmark Scicluna, véritable marin de son état qui ait remporté le prix d’interprétation masculine au Sundance Film Festival. Ce premier film est d’un réalisme saisissant, digne descendant, toute révérence gardée, de La Terre tremble, tourné par Visconti il a 70 ans dans un village de pêcheurs en Sicile, à deux pas de Malte… Luzzu nous parle de l’effondrement d’un mode de vie respectueux de la nature, d’un savoir ancestral que notre époque moderne regrettera tôt ou tard d’avoir condamné aux oubliettes.

PS : Malte est une terre de tournage rêvée pour les productions internationales, grâce à ses décors grandioses et variés, à ses villes qui marient architecture ancienne et moderne, à sa fiscalité très avantageuse, grâce aussi à une véritable industrie du cinéma renforcée au fil des ans, avec des techniciens (locaux ou immigrés) remarquablement formés dans tous les domaines. Et pourtant le cinéma maltais est quasiment absent des écrans. Sauf mémoire qui flanche, Luzzu est le premier film maltais programmé à Utopia depuis au moins 20 ans ! De quoi éveiller un minimum la curiosité…