Teret TP

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1999, alors que la Serbie est bombardée par l’OTAN, Vlada travaille comme chauffeur de poids lourds. Dans son camion, il transporte un mystérieux chargement du Kosovo jusqu’à Belgrade et traverse un territoire marqué par la guerre. Lorsque sa tâche sera terminée, il devra rentrer chez lui et vivre avec les conséquences de ses actes.

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QUINZAINE DES RÉALISATEURS 2018

Faire face

Ognjen Glavonić est le premier réalisateur serbe à s’attaquer frontalement aux crimes commis par les troupes de son pays, notamment durant la guerre du Kosovo, en 1999. Son documentaire Depth Two (2016), présenté à la Berlinale, évoquait le sort des dépouilles de civils albanais, transportées dans un camion frigorifique tombé dans le Danube. Le cinéaste s’était déjà penché sur le sujet, sous la forme d’une fiction. Le financement tardant à se monter, il a réalisé Depth Two avant de revenir à Teret. Deux projets soutenus notamment par Tom Dercourt (Cinéma Defacto). “Nous avons suivi Ognjen dans la continuité de notre travail avec un auteur, plus qu’autour d’une œuvre isolée.” La France est le premier financeur, via l’Aide aux cinémas du monde. “Nous avons utilisé le fonds comme levier du financement international. La Serbie est producteur délégué, la France et la Croatie (Kinorama) étant les coproducteurs minoritaires européens. Nous avons fait entrer un investisseur iranien (Three Gardens) au cours de la postproduction afin de compléter le budget (650 000 €), mais nousavons lancé la production en prenant un risque,  avec une part non financée.” Le financement serbe a mis du temps à venir en raison du sujet du film. “Le projet a subi une hostilité dans son pays au début de la production, ce qui explique qu’il a mis du temps à se faire (huit ans). Nous avons surmonté le problème en le finançant via les mécanismes européens de financement et de coproduction. Le Serbian Film Fund a fini par monter en postproduction. À présent, c’est un partenaire engagé.”

Teret, premier long-métrage de fiction du Serbe Ognjen Glavonić (après le documentaire Depth Two, présenté au Forum du Festival de Berlin en 2016), a été projeté en avant-première mondiale à la Quinzaine des Réalisateurs de Cannes. Ce road movie avec des éléments de thriller parle de nouveau d'un crime de guerre commis au Kosovo en 1999, lors des bombardements par l'OTAN.
Alors que Depth Two était rempli jusqu'à ras bord d'informations, avec Teret (La Charge), Glavonić nous livre une oeuvre plus atmosphérique, qui suggère beaucoup plus qu'elle ne montre, où l'on suit un camionneur, Vlada (incarné par la star croate Leon Lučev), qui transporte une marchandise non-identifiée du Kosovo vers Belgrade.
Entre le moment où Vlada se met au volant du camion, dans un dépôt au Kosovo, et celui où il le livre à Belgrade, la caméra de la chef-opératrice Tatjana Krstevski est avant tout tournée vers le camionneur dans sa cabine et vers son visage, où se lisent son angoisse et sa douleur par rapport à sa situation, mais aussi les souvenirs qui l'habitent et les questions que sa situation le force à se poser. Il ne sait pas ce qu'il transporte, mais comme il doit opérer dans le plus grand secret et qu'on lui a dit de ne pas s'arrêter avant d'atteindre sa destination, il imagine bien que la marchandise qu'il convoie n'est pas quelque chose d'ordinaire. Cependant, comme Vlada a une famille à nourrir, par temps de guerre, c'est son absolue priorité.
En chemin, il laisse monter à bord une auto-stoppeuse adolescente, Pava (Pavle Čemerikić), qui part en Allemagne pour y trouver une vie meilleure. Comme elle connaît le chemin, elle l'aide à naviguer, au moment où la route se retrouve bloquée par une voiture en feu. Alors qu'ils s'apprêtent à fuir du côté des collines, un agent les arrête, mais quand Vlada lui remet le document glissé dans une enveloppe bleue que lui ont donné ses employeurs, le policier se confond en excuses.
Pava représente la génération de Glavonić, qui a grandi pendant la guerre – elle a un groupe de musique punk, chose courante dans les années 90 chez les jeunes, et joue même une chanson à Vlada, lui-même père d'un garçon adolescent. Ce segment du film ajoute un élément de contexte générationnel, de même qu'une histoire de briquet donné à Vlada par son père à lui, qui s'est battu pendant la Seconde Guerre mondiale. Qu'on se rassure cependant : aucun sentimentalisme ne ressort de ce film dur et inévitablement sombre, filmé dans une palette de couleurs passées, entre gris et beige, parmi les maisons en ruines, les chemins boueux et les voitures rouillées. Le ton choisi par le réalisateur évoque la voix basse, presque le grognement d'un animal blessé, mais dangereux.
Tout au long du film, la guerre reste en toile de fond : au début, on voit les éclats de missiles, par-delà les collines, au loin, sans en entendre le bruit, ou à peine. Contrairement à l'enquête sur le crime de guerre traité qu'il menait dans son documentaire Depth Two, à partir des faits, dans Teret (La Charge), Glavonić nous offre le tableau d'une société et du destin des êtres humains en temps de guerre, ainsi que son opinion sur ce que sa génération a hérité de la précédente.
La plus grande réussite du film, c'est la manière avec laquelle il parvient à transmettre tout cela au public avec des moyens très réduits. Il a fallu pour cela un acteur très spécial : Lučev livre ici une performance presque incroyable qui rend l'exécution du regard du réalisateur non seulement possible, mais remarquablement claire.