Les Siffleurs

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Cristi est un inspecteur de police de Bucarest désabusé et corrompu. Embarqué malgré lui par la sulfureuse Gilda sur l’île de la Gomera, il doit apprendre le Silbo, une langue sifflée ancestrale dans le but d’aider un groupe mafieux à faire évader Zsolt. En effet, seul ce dernier sait où sont cachés 30 millions d’euros issus du trafic de drogue. Mais c’était sans compter sur la police, à la recherche de ce même butin. Et de l’amour qui va s’en mêler.

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 Le chant des Canaries

Connu jusqu’alors sous son titre original, La Gomera fait  référence à l’île des Canaries, dont certains autochtones  communiquent au moyen d’une langue sifflée ancestrale. C’est le cinquième long métrage de fiction de Corneliu Porumboiu, l’un des  principaux artisans de la Nouvelle Vague du cinéma  roumain, pour la  première fois en compétition malgré son  palmarès  impressionnant. En lice à la Cinéfondation dès 2004 avec le court métrage Calatorie la oras, il obtient la Caméra d’or et le label Europa Cinemas avec 2h08 à l’est de Bucarest (2006), le prix du jury Un certain regard et celui de la Fipresci pour Policier, adjectif (2009), puis le prix Un certain talent dans la même  section pour Le  trésor (2015). Les siffleurs a pour  interprète principal Vlad Ivanov, lauréat de cinq César roumains depuis celui du meilleur second rôle reçu pour 4 mois, 3 semaines, 2 jours de Cristian  Mungiu, en 2008..

Cinéaste atypique, Corneliu Porumboiu n’a décidément pas fini de nous surprendre, ce coup-ci en se jouant des archétypes des films de genre : noir, western, romance… Tout les ingrédients sont là : vamp irrésistible, truands à la gâchette facile, flics ripoux, courses-poursuites, trafics illicites… un scénario brillamment construit et rythmé. S’il s’éloigne du ton réaliste et dénonciateur de ses précédents films (12h08 à l'est de Bucarest, Le Trésor, Policier adjectif…), le réalisateur ne se départit surtout pas de son humour, qui se fait sifflotant et moins grinçant dans le cas présent. Il s’empare, en variations à la musicalité affirmée, d’un langage ancestral, développé dans les zones montagneuses et escarpées, afin de communiquer à distance, nommé ici dans les îles Canaries le « Silbo », l’une des soixante dix langues sifflées encore usitées de nos jours. C'est curieusement le deuxième film en quelques mois à s’inspirer d’un de ces dialectes insolites, peut-être en voie de disparition. Si le premier, le turc Sibel, avait un caractère ethnologique, le roumain Les Siffleurs se déploie en un très surprenant thriller de haute volée, servi par une distribution, des personnages dignes des grands classiques des années 50. On pourra d’ailleurs s’amuser à décrypter les clins d’œil, les références dont le scénario est émaillé, tel un excitant jeu de piste à la grammaire cinématographique parfaitement maîtrisée.
L’ouverture du film est délibérément olympienne. The Passenger, titre culte d'Iggy Pop, donne le ton et accompagne l’entrée en lice de Cristi. Ce dernier semble alors incarner le « passager » désabusé mais énamouré que décrit la chanson, accoutumé aux dessous « déchirés de la cité », presque extérieur à la vie. Pourquoi cet inspecteur de police de Bucarest vogue-t-il vers la côte rocheuse et sauvage de la paradisiaque Gomera, île des Canaries que l’on découvre depuis un ferry battu par les flots ? La première raison, on a tôt fait de la découvrir, est l’apprentissage de l’idiome local, que la mafia a décidé d’utiliser comme un langage codé, censé permettre d’échapper à la surveillance de la flicaille. Car Cristi est un flic corrompu, qui arrondit ses fins de mois en frayant avec des malfrats, ce dont ses supérieurs ont fini par se douter. La deuxième raison, qui serait presque plus noble, est qu’il est définitivement tombé sous l’emprise de la sublime Gilda (Catrinel Marlon). On succomberait à moins, elle a l’allure de son prénom désormais légendaire, beauté fatale qui inverse les rôles de domination, traînant à ses pieds une cour d’admirateurs incapables de lui refuser quoi que ce soit. On comprendra progressivement le lien sulfureux et troublant qui lie ces deux êtres, ou du moins on s’y essaiera, car toujours subsistera une part de mystère.
En attendant, voilà notre inspecteur sur le retour contraint à des cours particuliers, à la façon d’un vulgaire écolier à la traîne, s’appliquant en vain à placer ses lèvres correctement autour de son doigt recourbé dans sa bouche, ne réussissant, malgré tous ses efforts risibles, qu’à produire des pfuitt incompréhensibles, ridicules aux oreilles initiées. Il a beau faire, l’apprentissage du langage sifflé semble plus ardu que celui du javanais. Pourtant, le motivé Cristi finira par moduler quelques sons audibles… pour un jour être fin prêt à accomplir sa mission. Situation on ne peut plus cornélienne. Pour satisfaire sa belle, notre condé défroqué, transporté par un élan chevaleresque, lui a promis de faire sortir son amant Zsolt de prison. Si ce dernier est officiellement un homme d’affaire, officieusement il a tout d’un parrain très puissant. Dans cette histoire de dupes, les dés sont incontestablement pipés, l’amour damné… On ne donne pas cher de la peau ni de l’une, ni des autres et l’on se retrouve suspendu aux lèvres du destin, attendant l’inévitable moment où tout va dangereusement déraper…