Alberto Giacometti, The Final Portrait TP

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Paris, 1964, lors d’un court voyage à Paris, l’écrivain américain et amateur d’art James Lord est invité par son ami, l’artiste de renommée internationale Alberto Giacometti, à poser pour un portrait. Flatté et intrigué, James accepte. Cela ne devait prendre que quelques jours…

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À n’en point douter, c’est un ours, un monstre, un génie insupportable. Au premier regard il captive autant qu’il agace. « Cela fait 35 ans que je suis un imposteur, que je n’arrive pas à terminer la moindre œuvre ! », maugrée Alberto Giacometti, son éternelle clope au bec. C’est le premier trait d’un film qui nous livre l’artiste sans fard. Il ne cherche pas à ressembler à un de ces rituels biopics sirupeux, mais à croquer sur le vif un personnage haut en couleurs, au caractère d’autant plus tranché que l’arrière décor ne brosse que vaguement une époque à traits idéalisés et grossiers. 
Le Montmartre recréé de 1964 se décline en tons sépia comme de vieux clichés hors d’âge, tandis que l’atelier de Giacometti nous fait entrer précisément dans son univers chaotique où seules les femmes semblent parfois apporter une touche de couleur fugace. Chaque détail grisonnant semble murmurer : « Attention, ceci n’est pas une reconstitution », afin de laisser la part belle à l’interprétation. Une forme de subjectivité qui devient vite passionnante quand elle est portée par des acteurs fabuleux et particulièrement par Geoffrey Rush, qui campe un Giacometti aussi vrai que nature avec une telle truculence rabelaisienne qu’il est impossible de lui résister.
D'ailleurs, son ami James Lord (écrivain et critique d’art américain impeccablement campé par Armie Hammer) s’avère incapable de dire « non » lorsqu'Alberto lui propose de poser pour lui. Ce qui devait ne durer qu’une seule journée va se révéler être un piège à tiroirs interminable sous le regard amusé de la compagne du peintre (Sylvie Testud) et de son frère Diego Giacometti (Tony Shalhoub, remarquable), accoutumés aux frasques du peintre. Un portrait qui va coûter cher à James Lord en terme de billets d’avion (il sera obligé de les décaler moult fois) mais qui trente ans plus tard lui rapportera la rondelette somme de deux million de dollars, ce que, forcément, la présente histoire ne raconte pas. 
En attendant voilà James Lord entre les mains de cet artiste perfectionniste tout aussi tyrannique envers son entourage qu’il l’est envers lui-même. Les interminables heures de pose vont donner lieu à des dialogues et des silences captivants durant lesquels le peintre devient progressivement le sujet d’observation de son modèle, un peu comme l’arroseur devient parfois l’arrosé. De ces instants privilégiés, l’écrivain tirera plus tard un livre donnant à voir l’univers intime de cet éternel insatisfait, ce maestro de l’art contemporain capable, tel Pénélope, de défaire ses œuvres à perpétuité, détruisant dans les heures sombres ce qu’il avait créé lors d’instants lumineux.
Alberto Giacometti apparaît alors dans toute la folie de ses contradictions. En quelques phrases lapidaires il assassine Picasso (qui peint « des conneries prétentieuses ») Chagall (et sa « peinture de merde » sur le plafond de l’Opéra Garnier) tout autant que lui-même, se fustigeant d’être un bonhomme « malhonnête et menteur ». L’homme doute alors, se dévalorise, se déteste autant qu’il est admiré, méprisant ceux qui ne savent pas voir son imposture, n’accordant pas plus de crédit aux critiques qu’il n’en accorde aux banquiers, planquant des liasses de billets dans les recoins les plus saugrenus de son antre, ne se rappelant de leur existence que dans des épisodes de rage folle. Malgré cela, à l’instar de James Lord, on peine à le quitter et quand le film s’achève, on a envie de se plonger dans le livre qui l’a inspiré et d’aller redécouvrir le personnage aux travers des quelques interviews conservées par l’Ina. On est alors encore plus époustouflé par la performance de Goffrey Rush, véritable caméléon qui s’efface derrière son personnage tout en le magnifiant.