Diego Maradona

Le 5 juillet 1984, Diego Maradona est engagé par le club SSC Napoli pour un montant inédit qui établit un nouveau record du monde : pendant sept ans, le “gamin en or” accomplit des miracles. Il faut dire que le footballeur le plus mythique de la planète trouve vite ses marques dans une ville où l’on dit que même le diable a besoin de gardes du corps… Si Maradona semble avoir la grâce sur le terrain, il a moins de chance dans sa vie personnelle. Et quand la magie s’est dissipée, il est presque devenu captif de la ville…

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L’homme aux pieds d’or

Quatre ans après avoir présenté à Cannes, en séance spéciale, son documentaire musical Amy, lauréat d’un Oscar en 2016, le réalisateur Asif Kapadia revient sur La Croisette avec un film consacré à une légende du football, Diego Maradona. “C’est sur le canapé de la maison de mes parents que je l’ai vu remporter la Coupe du monde 1986, se souvient-il. C’est ensuite aux alentours de 1997 que j’ai lu un excellent livre qui lui était consacré. J’étais fasciné par son incroyable histoire, tant il y avait dans sa vie de brio, de chaos, de sujets de controverse et de drames. À l’époque, j’étais encore étudiant dans une école de cinéma où je réalisais mon film de fin d’études, The Sheep Thief, qui a été sélectionné en 1998 à Cannes dans le cadre de la Cinéfondation et y a même été primé. Des années plus tard, en 2012, après avoir réalisé plusieurs longs métrages – dont Senna, sur le pilote de Formule 1 brésilien qui a connu un grand succès –, j’ai été contacté par le producteur Paul Martin, qui m’a dit avoir accès à de nombreux documents inédits tournés du temps où Diego Maradona jouait à Naples. Les recherches proprement dites ont débuté en mars 2016. Notre équipe de documentalistes a commencé à sélectionner les images d’archives et à les faire traduire en anglais. Nous avons réalisé ensuite environ 80 entretiens en espagnol, en italien, en français et en anglais au cours de notre période de recherches, parmi lesquels une quinzaine figure effectivement dans le film terminé. Nous avons effectué trois séjours à Buenos Aires, plus de dix voyages en Italie, à Naples, Rome et Turin, et trois allers-retours pour rencontrer et interviewer Maradona à Dubaï.” C’est en décembre dernier à Londres que Diego Maradona a pu être montré à Thierry Frémaux et à Mars Films, qui le distribuera en France le 31 juillet.

 

Loin d’attaquer son sujet balle en tête pour ne séduire que les supporters et les fans de foot – dont je ne suis pas –, le réalisateur l’aborde sous un angle atypique et le rend aussi palpitant et poignant qu’une tragédie grecque. La tension narrative qui emporte le récit ne laisse pas le spectateur souffler un seul instant, quand bien même il connaîtrait parfaitement l’histoire. C’est que chaque propos est servi par un flot d’images inédites filmées à bout portant qui nous font rentrer tant dans l’intimité du footballeur star que dans celle d’une époque. Une œuvre originale de bout en bout, en commençant par son approche non chronologique, qui va droit au but : l’épicentre de la carrière pleine de rebondissements parfois énigmatiques de Diego Maradona.
Nous sommes en 1984, au moment où le joueur, qui semble être au plus creux de la vague, est racheté par la ville alors la plus pauvre, miteuse et méprisée d’Italie : Naples. Sans que nul ne puisse le prédire, alors que tous le pensent fini, El Pibe de Oro renaîtra de ses cendres avec une maestria confondante, une force de travail et une volonté farouches. Dans le fond, la vie du petit Argentin tout droit venu des bas-fonds de son pays n'est qu’un éternel recommencement entre gloire, mort, résurrection (comme le dit son ex-coach Signorini), qui le place naturellement en Italie comme une figure presque christique. Ce n’est pas rien tout de même de voir son portrait géant étalé juste à côté de la Madone, dans les rues de Naples ! Il n’y a pas de hasard si c’est précisément là qu’il va réussir à déployer tout son génie footballistique. Entre cette ville et cet homme, il y a de telles similitudes qu’elles vont les mettre en symbiose : l’une et l’autre excessifs, aussi violents que fragiles, essayant de se sortir de leur fange, l’une et l’autre en quête de reconnaissance. Pour les Napolitains, souvent conspués, Maradona va devenir tout un symbole. Ensemble ils redoreront leur blason, prendront leur revanche. Le désamour qui s’en suivra sera à la hauteur de l’amour qu’ils se seront portés !
Pourtant, sous ses airs de diva capricieuse, sa grande assurance, on oublie que le garçon qui porte tout cela sur ses épaules n’a alors que 24 ans, un jeunot expatrié grandi dans un bidonville, peu éduqué et mal préparé à affronter un tel fardeau. Soudain la caméra donne à voir la vulnérabilité palpable de Diego, malgré ses côtés insupportables. Le montage ne cache rien, montre la part sombre (la drogue, sa proximité avec la Camorra) comme la lumineuse, autant la maladresse bourrue que la tendresse contenue, et rend l’homme et son parcours extrêmement complexes et touchants : on ne peut pas réduire Diego à Maradona, ce monstre sacré qu’il a créé pour se protéger. Sa combativité, sa force de résilience, qui vont lui permettre de se redresser et de survivre dans un univers impitoyable dont il ne maîtrise pas les codes, dépassent largement le cadre du sport, même si ce dernier est forcément mis à l’honneur. Moi qui ne regarde habituellement pas les matchs à la télé, je n’ai pu que retenir mon souffle, en communion totale avec les tifosis espérant que Maradona marque un but et explose de joie ! Décidément, quel extraordinaire personnage, quelle incroyable épopée, dignes d'une saga romanesque ! Il aura tenu au bout de ses pieds l’espoir des supporters argentins, celui des Italiens et, sans doute, celui de myriades de gamins mal lotis rêvant de devenir comme lui une sorte d’étoile. Un véritable (anti)héros populaire. Des haillons à la gloire, ce drôle de gars est l’exemple même de l’ascension sociale puis de la retombée dans le caniveau, fulgurantes toutes les deux, comme s’il était impossible de jamais complètement échapper à sa condition sociale, comme si la misère devait éternellement vous coller aux crampons.