La Femme qui s'est enfuie

Vous aimez ce film, notez le !
La note moyenne actuelle est de 16,00 pour 1 vote(s)
Pendant que son mari est en voyage d’affaires, Gamhee rend visite à trois de ses anciennes amies. À trois reprises, un homme surgit de manière inattendue et interrompt le fil tranquille de leurs conversations…

Vos commentaires et critiques :

L’art de Hong Sang-soo est en apparence d’une grande simplicité. C’est un art minimaliste qui, depuis vingt ans, resserre, de film en film (un par an), les mailles de son filet autour de discussions de la vie quotidienne. Principalement des plans-séquences à hauteur de table, où les champs-contrechamps sont remplacés par des zooms sur l’un ou l’autre des personnages quand la conversation bascule. C’est un cinéma très dialogué, où on débat principalement de désir et d’amour, et bien souvent de l’impossibilité à faire couple. C’est le fruit d’une méthode éprouvée, où l’on retrouve les mêmes acteurs, le même type de personnages (des petits-bourgeois travaillant dans le cinéma ou l’art), les mêmes quartiers de Séoul (troués de quelques échappées à la campagne) : un cinéma sur le motif, de plus en plus dégraissé. On a souvent comparé Hong Sangsoo à Rohmer, on n’a pas tort. Mais son formalisme (ses structures arithmétiques, ses compositions géométriques) fondé sur la captation du prosaïque, du quotidien et de la nature évoque peut-être davantage Cézanne (son peintre préféré) et Ozu.
La première impression qui se dégage de cette Femme qui s’est enfuie est un sentiment de facilité, d’improvisation et de légèreté sans conséquence. C’est en fait le signe d’une extrême précision. Sur le plan formel, si le film repose sur une structure en trois temps où chaque segment est une variation d’un même motif (Gam-hee rend visite à une ancienne amie), le récit se déploie selon une linéarité très simple, économe dans son nombre de séquences, loin des constructions plus conceptuelles de certains des films précédents. Sur le plan narratif, Hong Sang-soo n’use même plus d’alcool pour qu’advienne la vérité toute crue au paroxysme de repas arrosés. La parole s’y déploie d’emblée avec aisance et spontanéité. On parle sans conséquence – on babille – et pourtant on réalise assez vite que chaque mot et chaque silence sont justes. Grande nouveauté : La Femme qui s’est enfuie se passe même de la présence (physique) des hommes, c’est un film consacré à la parole des femmes entre elles.
Le postulat du film est que Gam-hee fait pour la première fois une pause dans sa relation fusionnelle avec son mari. Celui-ci étant parti en voyage d’affaires, elle en profite pour revoir ses copines et comprendre si elle a fait les bons choix… Hong Sang-soo lui aménage un temps pour que s’accomplisse une parole de femmes affranchies. Une parole révélatrice du nouveau rapport entre les sexes où les rôles sont inversés : ici, c’est l’homme qui veut rester collé à sa compagne car, dit-il, « les amoureux ne doivent jamais se séparer », c’est l’homme qui est envoyé par sa femme se plaindre des voisines, c’est l’homme qui se plaint d’être humilié par une maîtresse cruelle, c’est l’homme qui est jugé trop bavard et qui répète tout le temps la même chose. Tandis que la femme cherche solitude et autonomie. En cela, La Femme qui s’est enfuie est un film symptôme de notre époque qui épingle la destitution du mâle alpha.
Pour autant, Hong Sang-soo n’oppose pas bêtement les sexes, il n’encourage pas le « malaise dans la civilisation »… Loin de diviser, son regard vise à concilier, réunir et… faire rire. Car, on ne l’a pas encore dit, mais La Femme qui s’est enfuie est aussi et surtout une superbe comédie. L’humour a ici pour fonction de désamorcer, en les ridiculisant gentiment, les sujets de conflit et les contradictions des personnages. Notamment à travers l’idée géniale d’utiliser l’animal (il sera souvent question de chats et de poules…) comme le sujet où viendront se cristalliser les tensions entre les sexes.