La Croisade

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Abel et Marianne découvrent que leur fils Joseph, 13 ans, a vendu en douce leurs objets les plus précieux. Ils comprennent rapidement que Joseph n’est pas le seul, ils sont des centaines d’enfants à travers le monde associés pour financer un mystérieux projet. Ils se sont donnés pour mission de sauver la planète.

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Cannes 2021 : Sélection officielle - Cinéma pour le climat

La révolte des enfants

Souvent venu à Cannes en tant qu’interprète (cette année en compétition dans L’histoire de ma femme d’Ildikó Enyedi et en clôture de la Quinzaine dans Mon légionnaire de Rachel Lang), Louis Garrel y a accompagné son deuxième court métrage comme réalisateur, Petit tailleur, nommé au César 2011, puis son premier long, Les deux amis, présenté à la Quinzaine en 2015. Il y revient avec La croisade, qui est aussi l’ultime scénario auquel ait collaboré Jean-Claude Carrière, le duo ayant reçu le prix du jury au Festival de San Sebastián 2018 pour celui de L’homme fidèle, son précédent film. La croisade est une comédie utopiste qui dépeint un monde dont les enfants prendraient en main le destin pour éviter un désastre écologiste annoncé. Le réalisateur y reforme le trio de L’homme fidèle avec Laetitia Casta et Joseph Engel, mais collabore pour la première fois avec le chef opérateur Julien Poupard, dont on a pu admirer récemment le travail sur Les misérables (2019) de Ladj Ly, et le compositeur Grégoire Hetzel, quant à lui présent à Cannes Première pour Tromperie d’Arnaud Desplechin. Initié par Why Not Productions, qui avait déjà soutenu Garrel pour L’homme fidèle, le film est vendu par Wild Bunch International. Programmé le 22 décembre, il sera distribué par Ad Vitam.

 

 

Avec son minois d’ange, Joseph se révèle être un futé garnement, qui a profité de ce que ses parents avaient le dos tourné pour faire le tri dans les penderies, les tiroirs, la bibliothèque, la cave, tout l’appartement – bref bazarder sur un site de vente entre particuliers tous ce que ses fortunés géniteurs avaient accumulé de signes extérieurs de richesse. Gentils et concernés au demeurant, les parents, Marianne et Abel (Laetitia et Louis) ont une belle conscience « de gauche », sont sensibles au vote « écolo », cuisinent du tofu et du quinoa bio – et lorsqu’ils ne s’atiffent pas de fringues qui sortent de chez les grands couturiers, s’habilleraient volontiers éco-responsable. C’est dire s’ils ne se sentent pas vraiment fautifs ni responsables de la grande dégringolade écologique planétaire en cours. Or donc, voilà-t-il pas que ces braves quadra socio-libéraux, qui payent à peu près leurs impôts, qui croient en la « croissance verte », qui envisagent sincèrement que l’Armaggedon sera enrayé par le génie humain – ou n’adviendra que « plus tard », après eux (et si possible après leurs enfants) – se découvrent avec ahurissement dépouillés par leur descendance. Et pas pour s’acheter des caramels mous. D’ailleurs, la seule vente des éditions originales bradées par Joseph sur le bon coin aurait permis de racheter toutes les confiseries du xvie arrondissement. Alors, se demandent avec effarement Marianne et Abel, pourquoi diantre leur rejeton, élevé au grain (sans OGM) et (quasi) en plein air, selon des méthodes d’éducation modernes, permissives au possible ; pourquoi ce gamin qui faisait jusque-là la fierté de ses parents s’est donc transformé en Arsène Lupin du xxie siècle ? Ne se départissant pas de sa bonne bouille, de son sourire entendu ni de la certitude de son bon droit, Joseph ne lâche pas le morceau et attend que passe l’orage. Mais pas question de rendre les sous. Quelques indices glanés par Marianne laissent entrevoir un dessein beaucoup plus large que la simple bascule d’un petit de bourgeois dans le brigandage des beaux quartiers. Les larcins de Joseph ne sont pas un cas isolé. Et l’épidémie semble même s’être répandue à l’échelle mondiale !
Sur le papier (glacé, évidemment), le film de Louis Garrel est aussi improbable que la section cannoise éphémère (!) dans laquelle il a été présenté au mois de juillet 2021 : « Le Cinéma pour le climat », sorte de cache-sexe ripoliné en vert, à faire pâlir de jalousie tous les Yann Arthus-Bertrand et Nicolas Hulot du monde, pour faire oublier la débauche de fric (et de carbone) que concentre cet événement cinématographique planétaire. Heureusement, La Croisade vaut beaucoup mieux que ça. Foutraque, bizarrement écrit, on y retrouve la patte malicieuse de Jean-Claude Carrière (c’est son ultime scénario), très sérieux dans son projet de conter la génération dite Greta Thunberg, tous ces gamins énervés par la colère et qui ne peuvent décemment plus s’en remettre à leurs aînés pour réorienter la marche catastrophique du monde. Et Louis Garrel a l’intelligence de le mettre en scène avec légèreté, sans se soucier de vraisemblance, en faisant preuve de beaucoup d’humour et d’autodérision – ce qui le sauve du pensum moralisateur. La Croisade des enfants qu’il raconte est une petite flamme ténue qui ne prétend pas changer le monde – mais peut-être donner quelques idées à une génération que ses aînés ont sacrifiée. Et lui servir, un peu, de repère, dans un monde qui n’en a plus beaucoup. Pour résumer en deux mots : très chouette !