L'Arbre

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Au sein d'une obscurité qui rassure, où seuls les éclairs et le bruit des détonations témoignent de la présence lointaine d'une guerre, un vieil homme imperturbable traverse un paysage hivernal. Il porte sur ses épaules son "pilori" de bois, lui servant à transporter de l'eau.
Sur son chemin, il aperçoit un enfant près d'un feu, sous un arbre, sur une berge ; sur une berge, sous un arbre, un enfant qui fuit la peur de la guerre rencontre un vieil homme. C'est sur ce tapis de neige, à l'abri de l'arbre, que les temporalités se croisent, que les souvenirs ressurgissent et que la peur est partagée, avec pour seul réconfort la chaleur humaine.

Vos commentaires et critiques :

 

Le Portugais André Gil Mata nous offre du pur cinéma, invitant à la comparaison avec son mentor Béla Tarr et d'autres grands cinéastes
Un vieil homme dans une ville assiégée, en plein hiver, sous la neige, la nuit, fait le tour du quartier pour collecter les bouteilles de ses voisins, qu'il ramènera remplies d'eau potable. Il les porte accrochées à une corde suspendue à une branche posée sur son épaule et appuyée sur sa nuque. Quand il arrive à l'embouchure du fleuve, après une longue marche et un bout de trajet dans une vieille embarcation à rames, et qu'il commence enfin de remplir les bouteilles, c'est déjà, soudain, le point du jour. Sans changer de point de vue, on voit un jeune garçon qui glisse le long d'une pente jusqu'à sa mère, mais c'est un rêve : soudain, l'enfant se réveille seul dans un grenier sombre à appeler sa maman. Le seul bruit qu'il entende, c'est une voix qui aboie des ordres en allemand, puis des bottes de soldats. Après le départ des soldats, il s'enfonce dans la nuit, avec un sac, et avance péniblement dans la neige, d'une maison en ruine à l'autre, pour ramasser des conserves alimentaires et des vêtements. Après avoir fait chemin à travers les bois, il atteint une clairière où se trouve un arbre très spécifique, qu'on reconnaît bien comme l'arbre à côté duquel l'homme est passé au début, tandis qu'il descendait la rivière. Le garçon allume un feu de camp. Le vieil homme, qui remonte le courant, voit le garçon se met à ramer plus vite, mais le garçon le remarque et s'enfuit aussitôt.
Voilà toute l'intrigue de L’Arbre, un film auquel on peut certainement appliquer les qualificatifs de "slow cinema", "méditatif", "cérébral" et "sensoriel", au grand minimum. : le Portugais André Gil Mata nous livre avec cette œuvre, au programme de la section Forum de Berlin, du pur cinéma. Les événements décrits dans les deux premières phrases de ce texte prennent en effet une heure de film, pour ce qu'on perçoit comme environ six plans en tout. Il n'y a presque aucun dialogue, et pas de musique. Juste deux lignes temporelles autour d'un seul personnage, qui se fondent l'une dans l'autre à la fin du film. L’Arbre est un film primal, sur le cycle de la vie, de l'histoire. C'est une œuvre qui parle des regrets et des passés possibles, mais aussi de l'acceptation stoïque du destin, en se tenant droit devant le désastre. Le temps, dans L’Arbre, est à plusieurs niveaux. Il y a le temps du film lui-même, qui semble passer très doucement, le temps de la guerre (de deux guerres, même : la Seconde Guerre mondiale et le Siège de Sarajevo) et puis le temps qui se répète à travers un unique personnage, qui est à la fois identique et différent d'une époque à l'autre, et qui survit à chacune de ces deux guerres. L'espace dans L’Arbre est très limité géographiquement, mais il est tout à fait infini. Tout se passe dans Sarajevo et ses alentours, mais le temps que prennent les événements dans le film font enfler sans fin l'espace où ils se déroulent, ce qui les rend universels. La manière dont l'ensemble est filmé élargit aussi l'espace : la caméra est toujours en train de bouger, de parcourir, de zoomer ou de filer les personnages dans leur dos. Lentement, patiemment, elle sait exactement où elle va et comment y arriver, et pourquoi. Dès la toute première image, un plan long, très beau, qui combine les deux continuums, on sait qu'on est entre de bonnes mains. Le design sonore envoûtant (entre le bruit des pas dans la neige, les bouteilles qui s'entrechoquent), au lieu d'enfermer le spectateur, l'hypnotise et lui ouvre de nombreux mondes possibles. Mata donne au public non seulement le temps de rêvasser et de songer, mais il lui fournit pour cela un cadre idéal – car le très fort contraste entre la nuit et la neige font du film une œuvre presque monochrome qui fait l'effet, après une exposition prolongée, d'un négatif de toile noire. Mata a été l'élève de Béla Tarr à Sarajevo Film Factory, et l'influence du cinéaste hongrois, notamment de son dernier film, Le Cheval de Turin, est ici indéniable, mais on pense aussi à Tarkovski, Kubrick, Klimov et même Lynch. L’Arbre est un de ces films rares, si accomplis et en même temps si ouverts à l'interprétation, que chaque spectateur peut y trouver ses propres références. C'est aussi un travail qui doit autant à la peinture qu'au cinéma.
Béla Tarr a un successeur, et son nom est André Gil Mata.