Illusions perdues

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Lucien est un jeune poète inconnu dans la France du XIXème siècle. Il a de grandes espérances et veut se forger un destin. Il quitte l’imprimerie familiale de sa province natale pour tenter sa chance à Paris, au bras de sa protectrice. Bientôt livré à lui-même dans la ville fabuleuse, le jeune homme va découvrir les coulisses d’un monde voué à la loi du profit et des faux-semblants. Une comédie humaine où tout s’achète et se vend, la littérature comme la presse, la politique comme les sentiments, les réputations comme les âmes. Il va aimer, il va souffrir, et survivre à ses illusions.

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La rentrée cinéma est décidément placée sous le signe de Balzac. Tout juste après Eugénie Grandet, réalisé par Marc Dugain, voici Illusions perdues, signé Xavier Giannoli. Les deux romans font évidemment partie de la grande œuvre de Balzac, qu’il avait intitulée La Comédie humaine, dans laquelle il se proposait de croquer ses contemporains, leurs ambitions, leurs espoirs, leur illusions, mais aussi leurs paradoxes, leurs travers, leurs hypocrisies…
Avec Illusions perdues, nous sommes pendant la Restauration, cette période qui – rappelons le pour ceux qui dormaient au fond de la classe en cours d’histoire –, va de 1814 à 1830 et a vu, après la chute de Napoléon, la royauté se rétablir en la personne de Louis XVIII, avec en corollaire le retour au galop des privilèges aristocratiques. Lucien Chardon, jeune et fringant poète plein d’espoir, natif d’Angoulême, signe ses vers Lucien de Rubempré, nom de naissance de sa défunte mère. Il croit en la vie et en son destin, surtout quand la belle baronne Louise de Bargeton le présente comme un artiste prometteur dans son salon où les aristocrates et notables locaux trompent difficilement leur ennui provincial. Au-delà de la reconnaissance, il conquiert aussi le cœur ou du moins la couche de la belle aristocrate, flanquée d’un mari cacochyme et avant tout préoccupé de chasse. Or, c’est bien connu, qui va à la chasse… Mais rapidement la rumeur de leur liaison enfle et le scandale éclate, poussant les amants à se faire oublier en prenant la route de Paris.
Le roman de Balzac était constitué de trois parties dont celle qui se déroule à Paris n’était que le centre. Giannoli et son co-scénariste Jacques Fieschi ont décidé d’en faire l’essentiel de leur film. Car c’est bien là que la vie de Chardon/Rubempré va basculer quand, lâché par sa belle suite à quelque maladresse, il va trouver, à défaut de succès littéraire, une carrière fulgurante dans le journalisme grâce à sa rencontre avec Lousteau, un jeune filou qui gravite dans un milieu de l’écrit, où les petits billets d’humeur font la pluie et le beau temps sur la carrière des livres ou des pièces de théâtre, principale distraction des parisiens. Il faut savoir que la plupart de ces libelles sont monnayés par les auteurs et producteurs qui paient pour avoir une bonne critique ou une mauvaise envers leurs concurrents à saborder. Un monde où la vérité importe peu : le sophisme y est roi et sait défendre l’indéfendable, pourvu que l’argent rentre dans les caisses. Un monde où un personnage singulier (le regretté Jean François Stévenin) se fait rémunérer pour faire applaudir ou huer les pièces et où un éditeur illettré mais très opportuniste dicte ses règles.
Le film de Giannoli, captivant et emballant de bout en bout, met en lumière l’incroyable modernité de l’œuvre de Balzac qui, 15 ans avant Marx, avait su décortiquer son époque où, derrière les vieux ors de l’aristocratie, montait en puissance le monde de la spéculation, de l’argent roi, et où l’aspiration à plus de démocratie apparente ne serait qu’un moyen pour quelques futurs barons de l’économie de s’enrichir encore davantage. Il n’échappera par ailleurs à personne que Giannoli évoque très fort, et à raison, l’état de notre presse, de nos médias d’information continue où plus rien n’a de sens si ce n’est la course au buzz et à l’audimat indispensable pour engranger les recettes publicitaires.
Illusions perdues impressionne par son énergie, son sens du rythme, sa richesse narrative, l’ampleur de sa mise en scène – les fastes corrompus de l’époque sont superbement reconstitués –, et son exceptionnelle troupe d’acteurs : on n’en distinguera aucun, on n’en citera aucune, tous sont au diapason, du plus grand au plus petit rôle.