Dégradé

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Une famille mafieuse a volé le lion du zoo de Gaza et le Hamas décide de lui régler son compte ! Prises au piège par l’affrontement armé, treize femmes se retrouvent coincées dans le petit salon de coiffure de Christine. Ce lieu de détente devenu survolté le temps d’un après-midi va voir se confronter des personnalités étonnantes et hautes en couleur, de tous âges et de toutes catégories sociales...

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Depuis que les Italiens ont abandonné le créneau, trop rares sont les cinéastes, issus de ces quatre coins du monde où on s'en prend plein la poire plus souvent qu'à son tour, qui tâchent de se colleter vraiment avec la représentation de la banale désespérance de leurs concitoyens. Vraiment, c'est à dire en y instillant ce qu'il faut d'humour, de violence, de cruauté si nécessaire, pour qu'en ressorte d'autant plus vivace toute l'humanité des populations qui n'ont guère que la survie pour horizon quotidien. Et s'il y a un territoire d'où l'on ne s'attendait pas à voir émerger une résurgence de la comédie italienne, satirique et sociale, que nous avons tant aimée, c'est bien la Palestine – même si par moments, les films d'Elia Suleiman portaient en germe des fragments de ce regard doux-amer. Et pourtant : porté par une mise en scène impeccable, une écriture au cordeau et des interprètes unanimement épatants, Dégradé tient toutes les promesses de cette proposition de cinéma qui rend justice aux petites gens, aux sans-grade, aux oubliés de l'Histoire, dans le Gaza d'aujourd'hui dont on sait si peu de choses, une fois que les bombardements israéliens se sont momentanément interrompus. Et, singulièrement, aux figures féminines de cette société qui tente de s'organiser normalement – si tant est que quoi que ce soit puisse être normal sur un territoire qui est comme une prison à ciel ouvert donnant sur la mer…
Soit, donc, dans la bande de Gaza, un salon de coiffure féminin, où s'activent une patronne, d’origine russe, et son apprentie, autour d'une douzaine de femmes de tous âges et de toutes conditions venues là se faire belles, profiter de l'accalmie, sortir de chez elles, simplement être ensemble. Ça virevolte entre les ciseaux, les fers à friser et les téléphones portables avec une efficacité très, très relative, tout en insistant sur l'urgence de la situation de chacune : qui son mariage, qui son accouchement imminent, qui le retour au foyer de son homme, qui son divorce en instance… Le salon se révèle très vite un petit théâtre du quotidien gazaoui où on évoque presque avec insouciance les pénuries alimentaires, le trafic d’essence, les drones israéliens, les tracas de la vie de couple, le rationnement, les incessantes coupures d'électricité (« quand ça coupe, on dort, quand ça marche on regarde les Feux de l'amour »). Comme partout, le ping-pong verbal du salon de coiffure fait se répondre les situations individuelles et les considérations politiques, avec une acuité et un humour féroces, comme lorsqu'on évoque le parcours du combattant que constitue, pour de banals déplacements, le passage successif des différents checkpoints, du Hamas d’abord, du Fatah ensuite et ceux d’Israël pour finir. Mais très vite, la tension monte d'un cran. Le lion du zoo de Gaza a été enlevé par la famille d'Ahmad, l'amoureux de la jeune apprentie, et le Hamas, menant une expédition punitive, impose un couvre-feu à effet immédiat. Dès lors, cloîtrées dans les petits 30m2 du salon, les relations entre coiffeuses et clientes vont logiquement s'exacerber et révéler des facettes moins glorieuses de leurs vies confinées.
On pense évidemment à Caramel, ou à Vénus Beauté Institut, mais ici le salon de coiffure comme métaphore de la société prend une dimension tragique, le possible symbole de la futilité se colletant radicalement avec la violence de la réalité guerrière – les rafales de mitraillettes et les tirs de mortier s'intensifient progressivement, rendant le chaos extérieur, invisible, effroyablement présent. La vie quotidienne à Gaza nous est immédiatement familière. Sans se laisser aller à trop expliciter les origines de la folie dont ils décrivent les conséquences, les frères Nasser s'inspirent, comme on dit, d'un fait réel (l'enlèvement du lion, la répression qui s'en est suivie) mais font un pas de côté et tiennent jusqu'au bout le parti-pris de ce huis-clos oppressant qui mêle la comédie à la tragédie. Et, dénouant grandes et petites intrigues, ils rendent finalement justice à chacune des figures féminines de la Société Gazaouie qui sont le vrai sujet de ce formidable (premier) film.