Tour de France

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Far’Hook est un jeune rappeur de 20 ans. Suite à un règlement de compte, il est obligé de quitter Paris pour quelques temps. Son producteur, Bilal, lui propose alors de prendre sa place et d’accompagner son père Serge faire le tour des ports de France, sur les traces du peintre Joseph Vernet. Malgré le choc des générations et des cultures, une amitié improbable va se nouer entre ce rappeur plein de promesses et ce maçon du Nord de la France au cours d’un périple qui les mènera à Marseille pour un concert final, celui de la réconciliation.

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QUINZAINE DES RÉALISATEURS 2016

Garde haute

Alors qu’il était venu à Cannes présenter Rengaine, Rachid Djaïdani commence à parler de son nouveau projet avec la productrice Anne­-Dominique Toussaint. “Il y a quelque temps de cela, des amis s’étaient lancés dans une sorte de tour de France des quartiers pour les besoins d’une cause. Mon idée de départ était de reproduire leur parcours. Puis l’histoire a évolué. C’est devenu la trajectoire d’un peintre qui avait besoin d’être accompagné à travers la France et j’ai eu l’idée de faire partir un rappeur avec lui.” Par la nature du tournage de Rengaine qui s’est étalé sur neuf ans, Rachid Djaïdani est devenu ce qu’il appelle lui-même un réalisateur couteau suisse. “Quand on a tout fait, occupé tous les postes, on ne laisse rien passer même sur le stylisme ou le maquillage. Je pense que, pour ceux qui viennent du cinéma ‘normal’, travailler avec un réalisateur comme moi est vraiment différent.” Avant de se lancer dans le tournage, il réalise un documentaire sur le peintre Yassine Mekhnache. “Cela m’a permis d’assimiler les mouvements d’un peintre, de m’imprégner de sa vie. J’ai fait une sorte de director studio, comme les comédiens font l’actor studio. ”Pour incarner son personnage principal, le cinéaste fait appel à Gérard Depardieu qu’il appelle Tonton. “Nous sommes tous deux des fils d’ouvriers et des anciens boxeurs, ancrés sur les mêmes fondations. Nous ne pouvions pas tricher. ”Une fois la présence de Depardieu validée, il fallait trouver son binôme. Les essais du rappeur Sadek vont s’avérer convaincants. “ À l’image, il me faisait penser à la fois à Mohamed Ali sur certains aspects et à Marlon Brando pour d’autres.”

La graine et le mulet

C'est un gamin qui se donne des airs de dur à cuire, un petit poète du bitume parisien qui joue un peu les stars, un peu les caïds. Il a un beau brin de plume, un doux visage et un regard de faux méchant qu'il cache précautionneusement sous la visière de sa casquette ou derrière un casque de moto. Comme dirait l'autre « il aimerait bien avoir l'air » mais il déborde clairement de sa panoplie de rappeur de base. Far'Hook, donc, à la scène, vingt ans, bourré de talent et un petit nom qui commence à se faire connaître même s'il peine à vraiment percer, vu que dans le rap comme ailleurs, pour les aspirants, la loi de la jungle est sans pitié. Et puis, en un rien de temps, pour une brusque embrouille, un clash imbécile avec un autre rappeur du genre plutôt sanguin, notre Far'Hook se voit instantanément et pour une durée indéterminée tricard des rues de Paris. Sous peine, quand même, de se prendre une balle, perspective qui le convainc rapidement de se mettre au vert quelques temps. Bilal, son « manager », plutôt roi de la débrouille, qui ne s'est pas toujours appelé Bilal, le charge de convoyer Serge, son paternel, qui doit rallier Liévin à Marseille.
Le gamin rimailleur des villes, se trouve confronté à un archétype du vieux grincheux des champs, lourd, râleur, haineux. Un veuf de cent et quelques kilos qui en veut à la terre entière d'avoir perdu sa femme après que son fils l'a quitté, un teigneux bouffi qui sent bien que tout se fissure, tout se délite autour de lui. Sa cité ouvrière du Nord qui n'en finit pas de tomber en ruines, sa vie d'artisan du bâtiment à la retraite qui s'étiole et se renferme au même rythme, comme a peu à peu disparu une certaine idée de la société, de son pays, la France, blanche, catholique, fière, industrieuse, qui n'est plus qu'une curiosité folklorique, un rêve perdu… La faute à l'autre, l'immigré, le musulman, l'Arabe, aux jeunes à casquette, aux dealers, aux gamins désœuvrés du voisinage dont le ballon de foot tape trop fort et trop souvent contre son mur.
Pas besoin de faire un dessin : de la confrontation improbable de ces contraires, de la cohabitation forcée du vieux « souchien » atrabilaire et du jeune beur frondeur qui incarne pêle-mêle toutes les causes de ses malheurs, va infailliblement naître une vraie, une belle rencontre. L'un comme l'autre, bardés de certitudes, se trouvent contraints de s'écouter mutuellement.
Rachid Djaïdani met une rare ferveur à raconter sa fable, se déleste de tout jugement, de tout second degré, de toute ironie, de toute cette connivence avec le spectateur qui est la marque de fabrique désagréable d'un cinéma français popu, chic et toc. Il fonce, prend les clichés à bras le corps et non seulement on se prend à marcher, mais on se rend progressivement compte à quel point on a besoin de croire avec lui à cette belle histoire d'aujourd'hui. Une des (nombreuses) belles idées du film, tient au prétexte improbable qui va guider nos Laurel er Hardy des temps post-modernes sur les routes. Le prolo misanthrope est par ailleurs peintre du dimanche – passionné, en fait, de peinture. Et il a fait la promesse à sa défunte épouse de refaire le tour des ports de France pour les peindre, comme Claude-Joseph Vernet à qui Louis XV avait passé commande quelque trois siècles plus tôt.
Le road movie sur fond de confrontation entre la peinture du XVIIIe et le rap, il faut une sacré dose de naïveté doublée d'un culot à toute épreuve pour s'embarquer dans un pareil périple sans verser dans le fossé au premier virage un peu serré. Pari gagné, parce que Rachid Djaïdani donne à son Tour de France tout en simplicité une délicatesse inattendue. Aidé en cela par Sadek, épatant pour ses débuts de comédien, et par un Gérard Depardieu dans le droit fil de ses compositions récentes pour Guillaume Nicloux, Delépine et Kervern, irrésistible de monstrueuse beauté et d'humanité.