Ma' Rosa

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Ma’Rosa a quatre enfants. Elle tient une petite épicerie dans un quartier pauvre de Manille où tout le monde la connaît et l’apprécie. Pour joindre les deux bouts, elle et son mari Nestor y revendent illégalement des narcotiques. Un jour ils sont arrêtés. Face à des policiers corrompus, les enfants de Rosa feront tout pour racheter la liberté de leurs parents.

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CANNES 2016 - COMPÉTITION - PRIX D'INTERPRÉTATION FÉMININE

Drogue store

Prix de la mise en scène pour Kinatay en 2009 à Cannes, où il avait déjà présenté Serbis (2008), Brillante Mendoza fait figure de chef de file du cinéma philippin qu’il représente régulièrement dans les festivals internationaux. Il a ainsi obtenu le Léopard d’or à Locarno pour Le masseur en 2005, le prix spécial du jury à Marrakech pour Tirador en 2007 et deux récompenses à Venise en 2012 pour Sinapupunan qui a valu le prix d’interprétation féminine à Nora Aunor. Il a, en outre, retrouvé l’actrice dans Taklub, sélectionné à Un certain regard en 2015 et couronné d’une mention spéciale du jury œcuménique. Ma’Rosa s’attache à un couple de boutiquiers se livrant au trafic de méthamphétamine. Il a pour interprètes principaux Jaclyn Jose, qui tenait notamment des seconds rôles dans Tirador ou encore Serbis, et Julio Diaz, interprète de plus d’une centaine de rôles dont déjà plusieurs chez Mendoza. 

 

Brut de décoffrage

Manille, organique et moite comme les dessous d’une fille malpropre… Peut-être la ville est-elle le premier personnage du film, même si le Prix d’interprétation féminine à Cannes est amplement mérité pour l’actrice Jaclyn Jose.
En trois plans le ton est donné. Au premier, des mains s’agrippent à l’argent qui file trop vite ; au deuxième, un panneau publicitaire prophétise : « C’est ton jour de chance » ; au troisième, l’orage gronde, menaçant, comme pour réfuter l’affirmation précédente, en dénoncer le cynisme. C’est ainsi que débute cette plongée dans les bas fonds des Philippines, grouillants, oppressants. Si vous aviez l’ombre d’un doute, Brillante Mendoza l’assassine dans l’œuf : il ne dépeint pas son pays pour aguicher des touristes en mal de cocotiers. Ses personnages sont plutôt du style affreux, sales et méchants. Mais n’est-ce pas le lot de tout humain qu’on laisse s’engluer dans la misère ? Très vite aucun d’entre eux ne semblera irrémédiablement pourri. Il en faudrait peu pour que la plupart deviennent de bonnes personnes, menant une vie sans embûche dans une société normalisée avec un président normal. Si seulement l’argent revenait aux travailleurs, si chacun pouvait acheter de quoi vivre dignement, sans avoir à marchander, à supplier ou à voler. Mais on est presque au bout de la chaîne. Celle des laissés pour compte, abandonnés en pâture aux escrocs et aux macs de tous ordres. Ici, même (surtout ?) ceux censés défendre la veuve et l’orphelin sont corrompus. À commencer par les flics, comme on le verra… 
Grassouillette, mais sans mollesse, encore jeune mais les épaules déjà écrasées par le poids des soucis et des ans, Ma’ Rosa fait son marché. Cinq portions de riz vapeur, deux brochettes de poulet, quelques intestins de volaille… un repas chiche pour nourrir sa grande famille. Pourtant elle n’arrive même pas à payer le vendeur ambulant. Dans le quartier, elle est connue pour tenir une échoppe minuscule « Rosa sari-sari store », qui rame comme tout ce qui existe dans le coin. Sur les étagères on y trouve pêle-mêle des cahiers, des gadgets, des sucreries : basiques pour les petits et plus illicites pour les grands. Ma’ Rosa, qu’on imagine plus en mère courage qu’en dealeuse, revend du « cristal meth » (un dérivé de la méthamphétamine) pour améliorer l’ordinaire… 
Si on jouait au jeu des sept familles, la seconde carte serait celle du père, Nestor, qui semble vivoter sur le dos de la petite boutique. Que ce dernier reçoive une dose de drogue en guise de cadeau d’anniversaire ne semble émouvoir personne, même pas les gosses, tant cela passe pour être un des rares moyens d’évasion accessibles. Pour eux c’est du pareil au même. Filles comme garçons, en âge de travailler, s’essayant tour-à-tour au labeur honnête ou aux magouilles. Mais il est flagrant que rien ne paie. Quelle que soit la direction prise, la famille reviendra toujours à la case départ, celle de la misère.
Ainsi s’écoulent leurs jours, aucun ne différant des autres… Sauf celui-là. Au bout de la rue, trois mecs, arme au poing, sortent précipitamment d’un véhicule et se dirigent très déterminés vers… la boutique de Rosa… Cette dernière est arrêtée, les flics ont tôt fait de découvrir la boîte à chaussures qui contient oseille et sachets de poudre. Va s’en suivre un terrible chantage, coutumier dans cette ville déglinguée où la police corrompue et toute puissante fait la loi…
Mais plus que l’intrigue, c’est la manière de la filmer que l’on retiendra. Cinglante, urgente. La caméra semble cueillir sur le vif la réalité de ces vies, l’insécurité et la corrosion d’une société qui semble vouloir étouffer toute étincelle d’humanité.