D'après une histoire vraie -12

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Delphine est l’auteur d’un roman intime et consacré à sa mère devenu best-seller. Déjà éreintée par les sollicitations multiples et fragilisée par le souvenir, Delphine est bientôt tourmentée par des lettres anonymes l’accusant d’avoir livré sa famille en pâture au public. La romancière est en panne, tétanisée à l’idée de devoir se remettre à écrire. Son chemin croise alors celui de Elle. La jeune femme est séduisante, intelligente, intuitive. Elle comprend Delphine mieux que personne. Delphine s’attache à Elle, se confie, s’abandonne. Jusqu'où ira Elle, installée à demeure chez la romancière ? Est-elle venue combler un vide ou faire le vide ? Lui redonner du souffle ou lui voler sa vie ?
Durée Cannes: 107mn

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CANNES 2017: COMPÉTITION

Portrait dans un miroir

L’œuvre toute entière de Roman Polanski ressemble à s’y méprendre à un douloureux exorcisme hanté par deux tragédies fondatrices: la Shoah et l’assassinat de son épouse, Sharon Tate. Celui-ci prend toute sa signification avec son 21e long métrage de fiction, D’après une histoire vraie, adaptation du best-seller de Delphine de Vigan paru en 2015 et scénarisé par Olivier Assayas, prix de la mise en scène l’an dernier pour Personal Shopper. Le sujet (l’emprise d’une écrivaine par une lectrice énigmatique et envahissante) rejoint par son aspect fantasmatique des films tels que Répulsion, prix spécial du jury à Berlin en 1965, et Le locataire, en compétition à Cannes en 1976. La romancière, c’est Emmanuelle Seigner, épouse et muse du réalisateur "palmé" en 2002 pour Le pianiste, que Polanski dirige pour la cinquième fois en 30 ans. Sa mystérieuse admiratrice, c’est Eva Green, fille de Marlène Jobert, croisée chez Bertolucci, Tim Burton, Ridley Scott et en James Bond Girl dans Casino Royale (2006). D’après une histoire vraie, dans lequel Polanski retrouve notamment le chef opérateur Paweł Edelman et le compositeur Alexandre Desplat, est produit par Wassim Béji, précédemment associé aux quatre films de Jalil Lespert, ainsi qu’à Un homme idéal (2015) et Burn Out (2017) de Yann Gozlan.

Un regard de prédatrice, des lèvres de vamp… Elle (sublime Éva Green) a la beauté heureuse de celles qui n’ont pas besoin d’artifices pour la mettre en valeur. Énigmatique créature, d’emblée envoûtante, presque trop parfaite pour être vraie. « Elle » ! Le pronom sonne comme un absolu féminin, faussement modeste dans son laconisme. Il colle bien à la façon cavalière dont cette séductrice aborde sans ambages Delphine Dayrieux, écrivaine dont la renommée incite pourtant à la déférence. Se croyant enfin seule, aspirant à quelques instants de répit après une interminable séance de dédicaces, Delphine fusille tout d’abord d’une œillade noire et agacée cette présence surgie de nulle part qui lui glisse : « Allez, un dernier petit effort pour votre grande admiratrice… » On se dit qu’elle devrait l’envoyer paître, on s’étonne qu’elle ne réagisse pas, qu'elle se laisse hypnotiser par le regard vert félin de la belle inconnue à la voix profonde, par son phrasé lent et majestueux. Devant elle sa volonté, ses réticences semblent se briser aussi facilement que la nuque d’une souris sous les crocs puissants d’un fauve. Voilà Delphine benoitement séduite et nous diablement troublé-es, suspectant quelque maraboutage diabolique.
Mais vite nous voilà rassuré-es et amusé-e-s par cette bonne farce sardonique où nous piègent Assayas et Polanski. Loin de nous servir du réchauffé, du déjà vu, ils se moquent insidieusement des codes, les embrouillent de façon suffisamment joviale pour que se confondent vessies et lanternes sans qu’on y voie goutte.
La complicité sensuelle qui se dégage de la relation entre les deux femmes devient rapidement envoûtante, fusionnelle, comme celles de deux âmes sœurs qui auraient attendu toute une vie pour ne faire qu’une. « Elle » sait écouter, Elle sait conseiller, Elle sait dorloter, coacher si nécessaire. Elle peut tout faire pour la romancière qu’Elle adule, comprend mieux que quiconque. Brillante en toutes choses, Elle s’impose progressivement dans la vie de l’auteure tel un placebo réparateur, capable de panser toutes ses blessures égotiques. Delphine, qui sort d’une phase d’écriture douloureuse, tétanisée par la peur de la page blanche, se repose avec bonheur sur cette amie inattendue, qui envahit progressivement ses pensées, ses moments d’indispensable solitude. François, le mari de Delphine, s’inquiète de la voir se transformer. Il a l’intuition que quelque chose commence à dérailler, quelque chose qui finit par devenir tangible mais qu’il n’a pas le temps de complètement analyser car il lui faut repartir vers de nouveaux congrès internationaux, de nouvelles importantes interviews, trop dévoré par son travail d’éminent critique littéraire. Car, bien sûr, tout se passe dans un milieu élitiste, presque consanguin, un entre-soi qui exclut les misérables, les incultes, les médiocres. Une intelligentsia qui se gargarise d’elle-même, s’auto-congratule perpétuellement, mais dont tous les membres semblent terriblement s’ennuyer sans oser se l’avouer. Ici nul ne se renouvelle. Hormis cette étrange intruse qui procède finement à un tri de plus en plus méthodique dans l’entourage désabusé de son idole qui pourrait bien devenir sa victime. Pour mieux la ferrer, la vicieuse manipulatrice ira jusqu’à feindre l’éloignement, au grand désarroi d'une Delphine se sentant plus vide que jamais, telle une toxico attendant sa dose devenue aussi indispensable que l’air qu’elle respire.
Et ce n’est bien sûr qu’un début. Il ne reste plus qu’à se laisser aller sans bouder son plaisir, en acceptant de se laisser enferrer dans un délicieux malaise, perturbant mais diablement séduisant, aussi troublant que les deux actrices, tour-à-tour agaçantes, ridicules, minables ou à croquer…

À noter que le film est allégé de quelques dizaines de minutes par rapport à la version montrée à Cannes qui était de 1h47