Aquarius -12

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Clara, la soixantaine, ancienne critique musicale, est née dans un milieu bourgeois de Recife, au Brésil. Elle vit dans un immeuble singulier, l'Aquarius construit dans les années 40, sur la très huppée Avenida Boa Viagem qui longe l'océan. Un important promoteur a racheté tous les appartements mais elle, se refuse à vendre le sien. Elle va rentrer en guerre froide avec la société immobilière qui la harcèle. Très perturbée par cette tension, elle repense à sa vie, son passé, ceux qu'elle aime.

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FESTIVAL DE CANNES - COMPÉTITION

Une femme libre

Repéré avec un premier long métrage multiprimé, Les bruits de Recife (2012), le réalisateur Kleber Mendonça Filho arrive à Cannes escorté par deux légendes du cinéma brésilien : les metteurs en scène Carlos Diegues et Walter Salles, habitués de longue date de La Croisette. Aquarius s’attache à une femme en lutte contre des promoteurs immobiliers bien décidés à la chasser de la résidence dont elle est la dernière habitante, y compris par les méthodes les plus immorales. Un rôle incarné par Sonia Braga, qui s’impose comme une sérieuse postulante au prix d’interprétation féminine à travers une composition particulièrement spectaculaire dans laquelle elle est omniprésente à l’écran. Sa personnalité d’ailleurs, du point de vue du réalisateur, est la clé du film : “Aussi, ai-je toujours été frappé par les contradictions idéologiques des Brésiliens issus des classes sociales aisées. Ils peuvent avoir une posture aristocratique et, en même temps, soutenir l’abolitionnisme et des valeurs de gauche… En somme, mon défi est de chercher à représenter cette société dans sa complexité. ”Sur le plan formel, poursuit le cinéaste, “l’utilisation d’un vrai appartement pour le tournage m’a beaucoup fait réfléchir à l’espace lui-même et à ses contraintes. Car les besoins d’un film, comme les angles de prises de vues et l’emploi des fenêtres et des portes, ouvrent une série de difficultés concrètes nous révélant des idées nouvelles sur l’espace réel et sur l’espace cinématographique”. 

 

Immeuble fantôme

En plein « coup d’état » au Brésil, un portrait de femme magnifique qui claque comme un manifeste antilibéral et un appel à résister aux puissances de l’argent et au népotisme qui gangrène le pays. « Aquarius », c’est le nom d’une petite résidence modeste construite dans les années quarante, sise face à l’océan et les plages de Recife, sur la très huppée Avenida Boa Viagem. C’est là que vit Clara, la soixantaine, ancienne critique musicale. Madame Clara, comme l’appellent les habitants du quartier, avec un mélange d’affection et de respect craintif. Il faut dire qu’elle en impose, Clara, sans aucun doute une femme de caractère et belle comme une icône païenne.
Mais voilà, Aquarius a été vidé de ses habitants par un important promoteur, qui a racheté tous les appartements dans le but avoué de démolir l’immeuble pour en construire un dix fois plus grand et cent fois plus rentable. Mais Clara résiste. Elle se refuse à vendre son logement malgré la somme que l’on devine rondelette offerte par la compagnie immobilière. C’est ici qu’elle a vécu toute sa vie de femme, d’épouse, de mère, cet appartement, c’est toute son histoire et l’histoire de sa famille.
Elle se retrouve donc seule dans cet immeuble fantôme, bientôt harcelée par les promoteurs. Et on découvrira qu’il y a bien des façons de persécuter un individu… Mais Clara n’est pas une pauvre femme sans défense, elle n’est pas du genre à se laisser impressionner, et elle va rentrer dans une véritable guerre froide avec la société immobilière. Plutôt que de s’affoler ou d’appeler au secours, elle va continuer à vivre sa vie, comme si de rien n’était. Elle va aller à ses séances de rigologie de groupe, elle continue ses baignades matinales dans l’océan menaçant sous le regard et les recommandations bienveillantes d’un maître nageur que l’on devine admiratif – voire un peu plus – de cette femme décidément hors norme. Elle sortira boire des verres et danser avec ses copines et pourquoi pas ramener un homme à la maison, pas trop vieux quand même, et surtout, ce qui est plus compliqué, pas trop con…
Kleber Mendonça Filho, que l’on a découvert il y a deux ans avec le très beau Les Bruits de Recife, signe un récit fort et intelligent, romanesque et universel. C’est David contre Goliath. Et c’est aussi et surtout un film éminemment politique qui raconte deux cultures, deux Brésil qui s’entrechoquent et s’affrontent. Deux visions du monde irréconciliables qui se toisent : la loi de l’argent, des réseaux, des influences contre celle du métissage, de la mixité sociale, du partage et de la dignité. C’est Sonia Braga qui incarne avec une force éblouissante cette idée du monde et cette femme debout, libre et combattante, qui ne renonce pas.