Chris the Swiss TP

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Croatie, janvier 1992. En plein conflit yougoslave, Chris, jeune journaliste suisse, est retrouvé assassiné dans de mystérieuses circonstances. Il était vêtu de l’uniforme d’une milice étrangère. Anja Kofmel, sa cousine, décide d’enquêter pour découvrir ce qui s’est passé.

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SEMAINE DE LA CRITIQUE 2018

Cousin, cousine

Pour clôturer son cursus d’animation à l’École de design et d’art de Lucerne en 2008, Anja Kofmel réalise Chrigi, un film court, traitant déjà d’un sujet similaire à celui de Chris the Swiss. Tout remonte à la mort de son  cousin journaliste, Chris, en  Croatie en 1992, au plus fort des affrontements au sein de l’ex- Yougoslavie. “Ce meurtre a marqué profondément mon enfance. Quand il est mort, j’avais dix ans. Je l’ai  toujours admiré, pour ses voyages, ses  aventures et son esprit libre. Je voulais être comme lui. À l’époque, il y avait un nom qui était mentionné à maintes reprises dans notre famille, Eduardo Flores alias Chico. Il était le fondateur d’un groupe de mercenaires appelés PIV que mon  cousin avait rejoint.  Quand j’ai atteint l’âge que Chris avait lors de sa mort, l’histoire m’a encore  frappée. En 2009, Chico a été abattu en  Bolivie lors d’une  tentative d’assassinat du président Evo Morales. Ce fut le moment clé qui m’a décidé à transformer l’histoire de Chris en film.” La forme hybride choisie par la jeune réalisatrice, mélange de documentaire et  animation, n’a pas facilité le financement, les bailleurs de fonds, notamment les  diffuseurs, s’interrogeant sur un tel projet, qui plus est pour un premier film. “J’ai choisi cette forme pour faire face à la complexité du sujet. Je capte mes recherches et rencontres de témoins oculaires au moyen d’un documentaire classique, alors que l’animation me permet d’interpréter l’histoire en donnant vie à la cruauté et au désespoir de la guerre de façon subjective.” Chris the Swiss est une coproduction quadripartite, le principal producteur étant la société zurichoise Dschoint Ventschr Filmproduktion, rejointe par les coproducteurs Nukleus Film (Croatie), Ma.Ja.De Film  (Allemagne) et IV Films (Finlande).

On n'écrit jamais aussi bien la grande histoire qu'à la première personne. Même si les historiens ont pour but d'apporter de l'objectivité au récit des hommes, elle n'est que la somme raisonnée des subjectivités. Si le beau et troublant (autant par son récit personnel que par sa forme) premier long métrage de la suissesse Anja Kofmel évoque une des plus grandes tragédies du xxe siècle européen, il n'en démarre pas moins par un cauchemar d'enfant. Une petite séquence en animation montre une petite fille réveillée par des chuchotements et des sanglots d'adultes : c'était la nuit, il y a de cela vingt ans, où Anja a appris la mort de son grand cousin admiré Chris, journaliste de guerre, retrouvé étranglé à quelques centaines de kilomètres de la paisible Suisse alémanique, dans un champ boueux de Croatie. Dès les premières minutes, la réalisatrice nous plonge dans cette forme hybride qui fait toute la force et la beauté du film, la poésie des souvenirs familiaux et la tragédie d'une histoire trouble enfouie avec sa part de réalité incertaine, que retranscrivent l'animation et le travail d'enquête. Deux décennies en effet après cette nuit d'effroi, Anja Kofmel, réalisatrice de films d'animation et jusque là nullement journaliste ni documentariste de terrain, décide, armée de quelques vieux carnets de voyage et de notes de son cousin, de prendre le même train que celui qu'avait pris Christian Würtenberg (le Chris du film) en 1992, direction Zagreb.
Débute ainsi une enquête d'autant plus complexe que le pouvoir croate, aujourd'hui d'extrême droite, est peu désireux de déterrer le passé et se soucie surtout de faire perdurer la mémoire des prétendus héros croates qui ont conquis l'indépendance du pays face aux Tchetchniks serbes. Car l'histoire est des plus troubles : Chris, reporter radiophonique sur les différents fronts de la première guerre des Balkans (celle qui opposait Croates et Serbes), avait fini par rejoindre une hétéroclite milice internationale, composée de volontaires ultra catholiques d'extrême droite, venus en découdre avec les héritiers du communisme de Belgrade. Une milice dirigée par un personnage de méchant tout droit sorti d'un album de Corto Maltese : Chico, un Bolivien d'origine hongroise, formé militairement par l'Union soviétique avant de devenir journaliste pour le journal conservateur la Vanguardia puis de former sa milice pro-croate.
L'enquête d'Anja Kofmel pose des dizaines de questions : pourquoi Chris avait-il endossé l'uniforme ? Par fascination romantique pour ces anti-héros ? Pour infiltrer la milice, dont on pense qu'elle était financée par l'obscur Opus Dei, à l'affut d'un reportage choc qui aurait fait sa renommée de reporter ? La réalisatrice interroge même à un moment le sulfureux terroriste Carlos, qui a croisé la route de Chris et émet l'idée que c'était un agent secret suisse !
Le film alterne donc une enquête palpitante – faite de de rencontres avec d'autres reporters de guerre, qui transmettent bien l'ambiguïté d'un travail où chacun peut à un moment basculer au delà de l'objectivité journalistique, mais aussi d'anciens mercenaires membres de la milice – et des moments étonnants d'échappée visuelle, de poésie noire à travers les séquences d'animation. Chris the Swiss est ainsi une vraie réussite dans sa forme, aussi originale qu'aboutie, et dans sa réflexion sur le rôle du journalisme en même temps que sur les mécanismes qui poussent encore aujourd'hui des jeunes gens à partir aveuglément vers des conflits armés à travers le monde.