Poesía sin fin

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Dans l’effervescence de la capitale chilienne Santiago, pendant les années 40 et 50, “Alejandrito” Jodorowsky, âgé d’une vingtaine d’années, décide de devenir poète contre la volonté de sa famille. Il est introduit dans le coeur de la bohème artistique et intellectuelle de l’époque et y rencontre Enrique Lihn, Stella Díaz, Nicanor Parra et tant d’autres jeunes poètes prometteurs et anonymes qui deviendront les maîtres de la littérature moderne de l’Amérique latine. Immergé dans cet univers d’expérimentation poétique, il vit à leurs côtés comme peu avant eux osé le faire : sensuellement, authentiquement, follement.

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QUINZAINE DES RÉALISATEURS 2016

Pour que la vie soit un acte poétique

Difficile de faire artiste plus complet qu’Alejandro Jodorowsky. Après avoir débuté au théâtre, il réalise des films qui vont devenir cultes comme El topo ou La montagne sacrée, publie des livres, scénarise des bandes dessinées, fait de la thérapie et donne même des consultations de tarot. “J’ai toujours pensé qu’il ne fallait pas faire une seule chose. C’est pour cela que je me manifeste sur plusieurs terrains.” Pendant une longue période de 22 années, il ne tourne plus aucun film, jusqu'à ce que Frank Pavich réalise son documentaire Jodorowsky’s Dune sur l’épopée de l’une des œuvres fantômes les plus célèbres de l’histoire du cinéma. “Cela m’a permis de reprendre contact avec Michel Seydoux qui avait voulu produire Dune. On a décidé de refaire un film ensemble en le coproduisant tous les deux.” Ce sera La Danza de la realidad, présenté à la Quinzaine en 2013. C’est un échec commercial, ce qui ne décourage pas Jodorowsky, bien au contraire.“ On n’a rien gagné mais on a ouvert une voie. Comme il me restait encore quelques économies et que j’avais commencé à créer mon propre public, j’ai décidé de faire appel à lui pour m’aider à produire mon film suivant, Poesía sin fin ; 10000 personnes m’ont aidé, ce qui m’a permis de récolter plus de 1 M€. ” Le film sera tourné en sept semaines à Santiago du Chili sur les lieux mêmes où Jodorowsky a passé son enfance. “Là où mon père avait un magasin de chaussures, s’était installé un vendeur de frigidaires. On lui a loué sa boutique pour recréer celle de mon père exactement là où elle était. Même chose pour la maison de mon enfance qui était 200 mètres plus loin.” 

Les enfants du paradis

Mais boudiou, qui nous révèlera la nature de la potion magique que boit chaque matin l'incroyable Alejandro Jodorowsky, cinéaste, écrivain, poète, auteur de BD et… cartomancien fantasque et génial ? À 87 ans, le bougre nous laisse une fois de plus baba avec un nouveau film libre et époustouflant.
Se situant dans la directe continuité du déjà splendide La Danza de la realidad, qui revenait sur l'enfance tourmentée du cinéaste dans une petite ville du Grand nord chilien en bordure du désert d'Atacama, Poesia sin fin, au titre si doux, aurait pu tomber dans la nostalgie d'une jeunesse disparue puisqu'il s'attache à l'adolescence puis la vingtaine du jeune Jodo aspirant poète dans le Santiago bohème et artiste des années cinquante.
Mais non, convoquant à la fois surréalisme et effets spéciaux bricolos à la Méliès, Jodorowsky fait feu de mille audaces. Un exemple : son quartier, sa ville ont changé ? Pas de souci, sur les façades actuelles il fait projeter de grandes photos en noir et blanc du Santiago de l'époque ! Il se rappelle ou imagine des personnages tous plus fantasques les uns que les autres : son ami poète décide par défi de traverser la ville en ligne droite ? Qu'à cela ne tienne, les deux complices feront fi des jardins privatifs voire des tablées familiales pour arriver à leur but. Il y a aussi le café Iris, lieu de rendez-vous d'Alejandro et ses amis où tous les serveurs semblent des croque-morts au milieu de clients endormis comme dans un conte gothique. C'est dans ce lieu mythique que le jeune homme rencontrera sa muse pour quelques mois, une artiste furibarde qui le promènera par les couilles (les images donneront tout son sens à l'expression…). Un personnage truculent incarné par la voluptueuse Pamela Flores, soprano dans la vraie vie, qui interprète aussi la mère d'Alejandro, femme protectrice qui tentait de protéger l'enfant de son père autoritaire et violent tout en vocalisant toutes les misères de leur vie familiale.
Cet étonnant imbroglio, où une même actrice joue donc la mère et l'amante dans un délire très fellinien, où les deux fils du réalisateur jouent respectivement le héros lui-même (Adan, le cadet) et son père (Brontis, l'aîné), répond à ce que Jodorowsky définit comme du cinéma psycho magique. Le cinéaste, qui a publié un livre intitulé « le Théâtre de la Guérison », croit aux valeurs curatives de l'art, un art qui cicatrise peut-être les blessures du passé, longtemps enfouies. Ressusciter un père à qui Jodorowsky ne parlera plus ou si peu après son départ du Chili. Évoquer des fractures de manière poétique, comme cette scène où le tout jeune et encore soumis Alejandro pète les plombs lors d'une réunion familiale, en profitant pour égratigner la religiosité juive avant d'attaquer à la hache l'arbre du jardin, rupture symbolique s'il en est, pour finir par prendre la fuite.
Écho vibrant de ses grandes œuvres psychédéliques des années 70-80 (El Topo, Santa sangre, La Montagne sacrée, le film dont Jodorowsky dit qu'il permet de connaître les effets du LSD sans le consommer), Poesía sin fin est une œuvre unique, autant dans sa facture que dans l'aventure de sa production, rendue possible par quelques rencontres improbables voire miraculeuses et par la mobilisation de milliers de souscripteurs anonymes. Mais on ne doute pas une seconde, vu l'énergie et la force créatrice de l'octogénaire, éternel lonesome cowboy d'un cinéma artisanal et magique, qu'il arrivera au bout de sa trilogie très librement adaptée de sa propre vie, avec le volet narrant son arrivée en France, sa rencontre avec André Breton, le Mime Marceau, Maurice Chevalier, puis de ses compagnons de route Arrabal et Topor. On a déjà hâte.