La Fracture

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Raf et Julie, un couple au bord de la rupture, se retrouvent dans un service d'Urgences proche de l'asphyxie au soir d'une manifestation parisienne des Gilets Jaunes. Personnel débordé, manifestants blessés et en colère vont faire voler en éclats leurs certitudes et leurs préjugés. À l'extérieur, la tension monte, l'hôpital se retrouve assiégé. La nuit va être longue...

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Festival de Cannes 2021 : compétition

Blouses blanches et Gilets jaunes

Formée par Antoine Vitez et Michel Bouquet au conservatoire, Catherine Corsini a présenté à Cinémas en France Les amoureux, en 1994, et son téléfilm Jeunesse sans Dieu, en 1996, mais aussi, cette même année, À toute vitesse de Gaël Morel comme coscénariste. En 1999, La nouvelle Ève lui a valu la reconnaissance du public et a rapporté à Karin Viard le César de la meilleure actrice. Après avoir montré La répétition en compétition à Cannes en 2001, elle a dévoilé Trois mondes à Un certain regard en 2012, puis a signé La belle saison, primé à Locarno en 2015, et Un amour impossible (2018). La fracture prend pour cadre la France d’Emmanuel Macron à travers une évocation de la fronde des Gilets jaunes et de la situation dégradée de l’hôpital public et de ses Urgences. Ce tableau de mœurs d’une actualité brûlante a pour figure centrale le couple en crise formé par Marina Foïs et Valeria Bruni Tedeschi, également à l’affiche de Cette musique ne joue pour personne de Samuel Benchetrit (Cannes Premières) et des Amours d’Anaïs de Charline Bourgeois-Tacquet, le film du 60e anniversaire de la Semaine de la critique. La réalisatrice y reste fidèle pour la troisième fois consécutive à la scénariste Laurette Polmanss, associée cette fois à Agnès Feuvre qui a coécrit récemment Médecin de nuit avec Élie Wajeman. La fracture est produit par Elisabeth Perez, avec laquelle Catherine Corsini poursuit son association depuis La belle saison, et éclairé par Jeanne Lapoirie, qu’elle retrouve pour la quatrième fois.

  

 

On se dit que c’est intenable, que ça va péter. C’est pas possible autrement. Que ce soit la cocotte-minute sociale qui n’en finit pas de monter dangereusement en pression, que ce soit l’hôpital public, qui a depuis longtemps dépassé la limite de la rupture, que ce soit le couple de Raphaela qui y est en plein, lui, dans la rupture : ça tangue, ça craque – mais on continue de charger, encore et encore. Mené avec une incroyable énergie, qui pourrait être celle du désespoir si l’on n’y décelait un irrépressible optimisme, une foi incorrigible dans la nature humaine, le film de Catherine Corsini est une entreprise ambitieuse, joyeuse, de ravaudage des plaies ouvertes de la société – celles-là même que la police du préfet Lallement s’efforce de soigner, samedi après samedi, au gaz lacrymogène et au LBD. Cerise sur le gâteau, Catherine Corsini réussit avec La Fracture l’alchimie parfaite entre une radiographie sociale pertinente, une tension dramatique à la limite du thriller et une comédie d’une irrésistible drôlerie.
Nous sommes donc à Paris, au cours de l’hiver 2019. La vie politique et médiatique du pays est rythmée par les manifestations hebdomadaires du mouvement social protéiforme dit des « gilets jaunes », déclinées en « actes » qui voient, semaine après semaine, la répression se muscler. Ce samedi-là, après une nuit d’insomnie passée à l’agonir d’insultes par sms, Raphaela, épuisée, paniquée, ferait n’importe quoi pour que Julie ne la quitte pas. Tellement n’importe quoi qu’en essayant de la retenir, elle se retrouve les quatre fers en l’air au beau milieu de la rue, le coude faisant un angle improbable avec son bras : et hop ! Direction les urgences. Ce samedi-là, Yann, routier précaire en déroute, gilet jaune de province, a détourné le semi-remorque de son patron et traversé la France pour grossir la foule des manifestants. Manque de bol, sa manif est écourtée par la déflagration d’une grenade qui lui déchiquète la jambe : et hop ! Direction les urgences. Ce samedi-là, Kim, infirmière, prend justement son service aux urgences, enchaînant son dixième, vingtième ?… bref, enchaînant sans plus les compter les jours de présence à l’hôpital. Bienvenue, donc, aux urgences de l’hôpital Saint-Antoine. Le film, plongée en apnée dans un service engorgé par l’afflux de blessés qui viennent se rajouter à la cohorte des accidents, des bobos, des drames quotidiens, est un tourbillon incessant, qui file de salles d’attente engorgées en salles de soin où l’on répare à flux tendu, le long de couloirs où se pressent des théories de brancards mis en attente… Là, la rencontre improbable entre le camionneur provincial et la dessinatrice bourgeoise parigote va produire son lot d’étincelles. L’interprétation est impeccable, on est bluffé par Assiatou Diallo Sagna, véritable infirmière, qui donne au personnage de Kim toute sa force et tout son engagement. Quant à Valeria Bruni Tedeschi (Raf), sur qui repose de bout en bout tout le comique du film, elle est impériale, en permanence au bord de la sortie de route.
Au cœur du projet du film de Catherine Corsini, il y a sans aucun doute cet épisode, dramatique, des manifestations du 1er mai 2019 à Paris. Un groupe de manifestants, pris au piège par les forces de l’ordre, avait, selon le ministre de l’Intérieur de l’époque, « attaqué » l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (version vite démentie par les images et les témoignages). Aux accusations mensongères, portées par les pouvoirs publics et la direction de l’AP-HP, de tentative de dégradation volontaire du service des urgences, la réalisatrice oppose le constat, irréfutable, de la casse intérieure du système de santé et de l’hôpital public. À rebours du discours médiatique dominant faisant état des fractures prétendument irréparables de la société, elle propose une réponse d’une évidente simplicité, à base de rencontre, d’écoute et de dialogue pour vaincre les préjugés. Vous l’aurez compris : c’est formidable !