La Duchesse de Varsovie

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Valentin est un jeune peintre qui vit dans le monde imaginaire de ses tableaux. Lorsqu'il retrouve sa grand-mère Nina, une émigrée juive polonaise dont il se sent très proche, il lui confie son manque d'inspiration et sa solitude.
Au fil de ces quelques jours passés ensemble dans un Paris rêvé, Valentin exprime de plus en plus le besoin de connaitre le passé que Nina a toujours cherché à dissimuler...

Vos commentaires et critiques :

C'est un film singulier et sensible, qui s'appuie sur une mise en scène et une narration stylisées à l'extrême pour dire des choses essentielles, qui touchent à l'humain et aux fondements monstrueux de notre histoire contemporaine.
Deux personnages seulement pour incarner tout ça. Nina, une vieille dame d'origine polonaise, élégante et un chouïa hautaine, qui rentre à Paris après des vacances sur la Côte d'Azur. Et Valentin, son petit-fils venu l'accueillir à la gare, un jeune peintre un peu bohème actuellement en manque d'inspiration. Il souffre profondément d'un manque d'identité qui le bloque dans sa création. Il raconte à sa grand mère qu'il mène une existence plutôt morose, alors même qu'il s'adonne à une vie nocturne effrénée et un peu vaine dans les boîtes gays de la capitale. Elle, sous ses allures de bourgeoise parisienne cultivée et indépendante, porte un lourd secret qu'elle a toujours caché à tout le monde, y compris à son fils. Un secret qui la ronge.
Au cours des quelques jours qu'ils vont passer ensemble, à se promener dans les endroits les plus agréables de Paris, le jeune homme et la vielle dame vont se dévoiler l'un à l'autre et laisser craquer le vernis de leurs représentations respectives. On comprendra vite qu'il est question pour Nina de l'incapacité à évoquer la déportation qu'elle a subi en Pologne plus de soixante ans auparavant, qui est devenue une parenthèse terrifiante et indicible que seuls selon elle les survivants peuvent comprendre et appréhender…
Ce qui donne à La Duchesse de Varsovie sa très forte identité et son charme très particulier et agissant, c'est son dispositif, qui est non seulement bluffant mais aussi extrêmement juste par rapport à son sujet. Joseph Morder, cinéaste volontiers expérimental, lui même fils d'une rescapée des camps exilée en Amérique latine, a choisi de n'utiliser que des décors peints pour y filmer ses personnages : que ce soit les intérieurs meublés (l'appartement de Nina évoque irrésistiblement ceux peints par les fauvistes ou les premiers expressionnistes au début du xxe siècle) ou les sites extérieurs, emblématiques de la topographie parisienne. Après un moment de surprise, ce choix audacieux apporte au film une tonalité volontairement hollywoodienne – celle par exemple du Vincente Minelli d'Un Américain à Paris – synonyme d'une douceur, d'une insouciance de vie qui contrastent avec les tourments des âmes. Même les quelques autres personnages (notamment les parents de Valentin) auxquels sont confrontés Alexandra Stewart et Andy Gillet sont incarnés par des figures parlantes de carton, qui montrent bien que l'essentiel de ce qui se joue est la formalisation de ces terribles souvenirs qui vont bien finir par s'exprimer au grand jour. Seule une échappée belle dans un cinéma de quartier, où Nina et Valentin voient un film muet racontant une idylle lesbienne dans les années vingt, apporte une respiration en prises de vues réelles.
Entre l'interprétation remarquable des deux comédiens et son dispositif d'une beauté et d'une justesse sidérantes, ce film étonnant s'avère finalement un des plus beaux jamais réalisés autour d'un témoignage sur la Shoah.