La Fille inconnue TP

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Jenny, jeune médecin généraliste, se sent coupable de ne pas avoir ouvert la porte de son cabinet à une jeune fille retrouvée morte peu de temps après. Apprenant par la police que rien ne permet de l’identifier, Jenny n’a plus qu’un seul but : trouver le nom de la jeune fille pour qu’elle ne soit pas enterrée anonymement, qu’elle ne disparaisse pas comme si elle n’avait jamais existé.

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FESTIVAL DE CANNES - COMPÉTITION

L'enjeu de la vérité

Déjà “palmés” pour Rosetta en 1999 et L’enfant en 2005,les frères Dardenne figurent parmi les habitués de La Croisette. Après avoir fait appel à Cécile de France pour Le gamin au vélo (2011), puis Marion Cotillard pour Deux jours, une nuit (2014), ils ont confié le rôle principal de La fille inconnue à Adèle Haenel, aux côtés de trois de leurs interprètes de prédilection : Jérémie Renier (La promesse ,1996), Fabrizio Rongione, qu’ils dirigent pour la 6e fois, et Olivier Gourmet, prix d’interprétation à Cannes pour Le fils en 2002.Tourné dans la région de Liège, La fille inconnue suit la quête d’une femme médecin qui s’en veut de ne pas avoir porté secours à une jeune fille retrouvée morte. Sur le plan logistique, expliquent d’une seule voix “les frères”, le film a bénéficié d’un “tournage en numérique, caméra Alexa Mini, coproduction franco-belge avec Archipel 35, avec qui nous travaillons depuis 15 ans. Avec le soutien d’Eurimages, France 2 Cinéma, Voo BeTV, la RTBF, produit avec l’aide du Centre du cinéma et de l’audiovisuel de la Fédération Wallonie-Bruxelles, du Vlaams Audiovisueel Fonds, et la participation de Canal+, Ciné+, France Télévisions, la Wallonie, du tax shelter du gouvernement fédéral belge, de Casa Kafka Pictures, de Casa Kafka Pictures Movie tax shelter empowered by Belfius, en association avec Wild Bunch, Diaphana, Cinéart et Bim Distribuzione”. Nullement indifférents aux nouvelles technologies, les Dardenne citent en exemple “le cinéaste italien Pippo Delbono [qui] a trouvé un langage cinématographique avec son portable”. Quant à leurs projets, ils déclarent : “À l’automne, nous commencerons à travailler sur notre prochain scénario, mais c’est encore très vague.”

Tous ceux qui identifient les Dardenne à un cinéma naturaliste, social, misérabiliste, ouvriront peut-être enfin les yeux (il serait temps) en découvrant leur magnifique et bressonien La Fille inconnue. Rien n’est plus travaillé, précis, minutieusement sculpté, intelligemment formaliste et moralement complexe que le cinéma des frères liégeois.
Leur dynamo est cette fois-ci le docteur Jenny Davin, une jeune généraliste qui refuse un soir d’ouvrir sa porte à une jeune femme en détresse parce que l’horaire est dépassé d’une heure. Elle apprend que celle qui sonnait a été retrouvée morte sur une berge, sans identité, sans famille et sans sépulture. Davin en conçoit une culpabilité obsédante et n’a plus qu’un but : retrouver le nom de la fille inconnue et lui offrir une dernière demeure digne. Davin, c’est Adèle Haenel, sainte laïque et guerrière, petit bloc obsessionnel qui rappelle ses devancières Rosetta ou Lorna. La différence, c’est que Jenny Davin n’est pas une victime mais une femme de la bourgeoisie dont le métier, ou plutôt la vocation, consiste précisément à réduire le malheur du monde, un peu comme si les deux frères étaient passés de l’autre côté de leur caméra par le biais de Davin. Dans ce rôle portant tout le film, Haenel étincelle par son énergie, son tranchant, sa dualité enfantine et batailleuse, à la fois petite pieuvre et combattante, moteur crépitant de tous les plans du film.
Bien que personnelle et intime, l’enquête du docteur Davin revêt bien sûr une dimension politique jamais explicitée. La fille sans nom et sans tombe fait écho à toutes les victimes décédées dans l’anonymat des faits divers mais aussi des guerres et des massacres de masse. Quant au défilé de personnages qui somatisent devant la toubib (vomissements, problèmes cardiaques, perte de sommeil…), ils incarnent une honte intériorisée et une culpabilité collective, les nôtres, celles des nantis (plus ou moins) indifférents ou impuissants face au spectacle visible des souffrances du monde.
Comme toujours chez les Dardenne, la portée politique ne découle pas d’un « vouloir dire » mais d’une histoire, de personnages, de situations, de gestes très banals et concrets. Leur beau souci, ce sont les détails. Demander à Haenel une diction blanche, désaffectée (« il faut dominer ses sentiments pour être un bon médecin » dit-elle au début) ; distiller les sonneries de portable qui scandent le film et intensifient ses suspenses ; ménager de longs silences avant que la parole des témoins du drame ne soit accouchée ; multiplier patiemment les écoutes au stéthoscope des bronches d’un patient avant d’énoncer un diagnostic (métaphore de la méthode des Dardenne ?) ; filmer le profil ultra-expressif d’Haenel et saisir la moindre inflexion de son visage comme un événement émotionnel faisant avancer le récit…
Même soin minutieux dans le colorisme, entre les hauts bleus ou rouges de Davin et les murs blancs en fond d’écran. Sec et tendu comme un thriller, politiquement plus parlant que la plupart des films à messages, La Fille inconnue est un nouveau diamant brut de nos orfèvres de Seraing, leur plus éclatant et coupant depuis L’Enfant.