Nocturama

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Paris, un matin. Une poignée de jeunes, de milieux différents. Chacun de leur côté, ils entament un ballet étrange dans les dédales du métro et les rues de la capitale. Ils semblent suivre un plan. Leurs gestes sont précis, presque dangereux. Ils convergent vers un même point, un Grand Magasin, au moment où il ferme ses portes. La nuit commence.

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Paris est une fête

Sur le papier, le projet est brûlant, épineux, sulfureux : un groupe de jeunes gens commettent des attentats dans des lieux symboliques de Paris, puis se retranchent toute une nuit dans un grand magasin de la capitale. Dans les faits, Nocturama n'est pas où on l'attend. Certes, l'action se déroule dans un contexte politique avéré, mais Bertrand Bonello a délibérément choisi de ne coller à aucune réalité historique. Nocturama se place résolument du côté de la fiction, de l'imaginaire, voire du cauchemar, loin de toute lecture sociologique ou de tout regard journalistique sur les choses. D'ailleurs, l'activisme dans le film n'a rien à voir avec celui qui sévit en France en ce moment. Les personnages se rapprochent plutôt d'un sentiment insurrectionnel d'extrême-gauche, rappelant certains mouvements des années 70. Il faut savoir que Bertrand Bonello a écrit ce film en 2011, au moment où il tournait L'Apollonide, bien avant les attentats contre Charlie Hebdo et au Bataclan. Il n’est donc pas une réponse à ces événements mais davantage une réflexion globale sur un climat d’extrême tension palpable au sein de la société française, sur les ambiguïtés profondes de ceux qui basculent dans l'action politique radicale, sur le désarroi d’une certaine jeunesse face à une marche du monde qui lui échappe.
Ce qui frappe en premier, c’est leur très jeune âge. À l'exception de deux d'entre eux, qui ont une dizaine d'années de plus, on leur donne à peine la vingtaine, l’un d’entre eux est encore un gamin. Ils sont une petite dizaine, garçons et filles, d’horizons et de milieux très divers. Rien ne les unit si ce n’est une aversion profonde pour la société et une pulsion de révolte impossible à canaliser.
Bertrand Bonello n’a pas souhaité décrire un mouvement en particulier mais réunir, à la manière d’un postulat, plusieurs profils autour d’un projet sans visage. La première partie du film se concentre sur la préparation et la mise en œuvre des attentats. L’efficacité du plan est impressionnante et la mise en scène d’horloger de Bonello le suit avec un rythme et une méticulosité spectaculaires. Les cibles, notamment, sont évocatrices : une bombe au Ministère de l’Intérieur, la mise à feu de la statue de Jeanne d’Arc, le meurtre du PDG d’HSBC France, une explosion dans la tour de Total dans le quartier d'affaires de La Défense. Bonello crée des images à la puissance symbolique ravageuse.
Puis le plan amène le groupe à investir la Samaritaine avec la complicité d’un vigile. A la tombée du soir, dans le magasin vidé de toute présence, les activistes se cloîtrent pour laisser passer la nuit et ainsi échapper à la traque de la police. Dans cette longue seconde partie, les jeunes gens se retrouvent confrontés à ce qu’ils n’avaient absolument pas prévu : l’attente. Coincés dans un monde des objets et un lieu phare de la logique consumériste qu’ils réprouvent, les individualités se dévoilent peu à peu…
Comme si l'actualité incontestable du film suffisait à lui donner sa pertinence politique, Nocturama se saisit de questions incandescentes pour les explorer sur un plan esthétique. Il y a dans la démarche de Bertrand Bonello quelque chose de l’ordre de la fascination, l’envie d'investir sur le mode artistique ces motifs qui intriguent, ces actions qui font peur. C’est que Nocturama n'est ni provocateur, ni visionnaire, mais tire sa force de sa précision formelle et analytique, de son art assumé du contrepoint.