Les Magnétiques

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Une petite ville de province au début des années 80. Philippe vit dans l’ombre de son frère, Jérôme, le soleil noir de la bande. Entre la radio pirate, le garage du père et la menace du service militaire, ils ignorent qu’ils vivent là les derniers feux d’un monde sur le point de disparaître.

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Quinzaine des Réalisateurs 2021

Le collectif comme refuge

Passé par la Cinéfondation en 2010 avec son court Coucou-les-Nuages, Vincent Maël Cardona raconte que Les magnétiques “est né d’un désir d’écriture collective: réunir des scénaristes de ma génération, tous nés au début des années 1980, et mesurer ensemble combien la révolution numérique a transformé le monde qui nous a vu naître en une sorte de songe, de monde séparé.” Le scénario du film a été écrit par trois garçons et filles. “À chaque étape, l’idée a été d’être fidèle au ressenti que nous avions en commun: une époque que nous n’avons connu qu’enfants. Chacun venant avec ses propres souvenirs tronqués, magnifiés et déformés.” Pourquoi ce choix d’écriture collective ? “À l’heure de l’hyperindividualisme, le collectif est un refuge. Sortir de chez soi, c’est une manière de sortir de soi. Travailler à plusieurs revient au fond à se protéger de la dureté de plus en plus prégnante de la solitude dans nos manières de vivre”, répond le cinéaste. Le tournage a eu lieu à la limite de l’Île-de-France et du Loiret, et à Dresde et Leipzig pour la partie allemande. “En France comme en Allemagne, nous avons été surpris de devoir à ce point intervenir sur les décors. Comme si nous pensions naïvement qu’en nous éloignant un peu des plus grands axes, nous allions facilement trouver une patine ‘année 80’. Nous avons vite dû intégrer le fait que nous tournions un film d’époque, que les angles de vue seraient très limités et que tout était à reconstituer. Il a donc fallu faire avec très peu pour suggérer beaucoup. Je garde un souvenir ému de la revue des 18 figurants que nous avions pour tourner la scène de ‘la grande fête de l’église à Berlin-Est’… On dit qu’il n’y a pas de liberté sans contrainte. Cela peut sembler contradictoire, mais c’est aussi une belle entrée vers la compréhension de ce qu’est la mise en scène.”

 

 

« La voix, c’était toi. Moi, j’étais juste le petit frère qui poussait les boutons, mais cela m’allait très bien. On faisait de la radio, on était des hors la loi et j’étais très fier. »
Nous sommes le 10 mai 1981 et à la télévision apparaît le visage du nouveau président de la République française : un certain F.M. Bientôt justement, les radios FM (comme Frequency Modulation) qui prolifèrent seront légalisées, mais pour l’instant Philippe (celui qui parle ci-dessus) et son frère aîné Jérôme s’en donnent à cœur joie dans leur petite ville de province, sur leurs propres ondes de Radio Warsaw, s’enflammant sur Marquis de Sade, The Sonics, Iggy and the Stooges, pleurant sur Ian Curtis et Joy Division, inventant des jingles et mixant de sons avant d’aller poursuivre la fête arrosée, enfumée et dansante au bar ou en pleine nature.
Cette jeunesse croquant la vie à pleine dents sans deviner encore que ce moment est l’acmé d’une période libertaire que viendront refroidir les années 80 est au cœur du premier long métrage de Vincent Maël Cardona, Les Magnétiques, qui mêle les genres allègrement et avec beaucoup d’inventivité (de la chronique sociale à la comédie, du drame au récit romantique).
Philippe et Jérôme, qui vivent et travaillent avec leur père garagiste, sont le yin et le yang, le premier aussi gentiment coincé (mais un petit génie du son) que le second est un centre d’attraction et d’agitation locale. Par ailleurs le grand frère sort avec Marianne, venue de région parisienne le temps d’une année d’apprentissage en coiffure, pour laquelle Philippe couve un béguin secret… L’ambiance est néanmoins à l’enthousiasme débordant et à une forte complicité (le cadet mettant régulièrement au lit un Jérôme en état d’ivresse très avancé, au grand énervement de leur père). Mais c’est encore le temps du service militaire obligatoire et Philippe échoue, malgré tous ses efforts, à se faire réformer P4 (problèmes psychiques, recyclé à l’antenne en P for Peace) et le voilà envoyé pour un an sous l’uniforme à Berlin. Juste avant son départ, Marianne lui adresse quelques signaux encourageants… Philippe trouvera-t-il sa propre voix, ses propres ondes, dans le monde des mâles alpha ? Et que se passera-t-il en son absence ?
Dynamique, surfant sur un indéniable potentiel de sympathie, excellement interprété (le trio principal est formidable) et parsemé de passages drôles, Les Magnétiques utilise à merveille la musique sous différentes formes très créatives afin d’électriser le récit. Jouant toutes ses cartes avec beaucoup d’intelligence narrative, le film traite également, en sourdine, d’une bascule générationnelle en germe, des limites de l’existence provinciale, d’un monde géopolitique en pleine gestation (les muses de l’underground musical mondial s’encanaillent à Berlin-Est), d’un temps résonnant du mauvais présage de la mort de Bob Marley… Le règne des K7 et des vinyles touchait presque à sa fin, la société allait prendre le virage du business et de la rigueur, et se profilait l’âge adulte avec ses choix parfois dramatiques ou dépressifs, ses idylles envolées. Mais n’oublions pas, comme le chantaient The Undertones, « teenage dreams are so hard to beat. »